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REVUE LITTÉRAIRE.

tous les princes de l’antiquité classique étaient issus de bâtards ? Il y a là une difflculté dont le nœud nous échappe ; mais, n’en doutons pas, il suffirait de la signaler à M. Granier de Cassagnac pour qu’il trouvât sur-le-champ une solution.

« La manière de se nommer, dit ensuite l’historien de la noblesse, est aussi une manière de se blasonner, car un gentilhomme n’est pas moins reconnaissable au nom dont il s’appelle qu’aux armes dont il se couvre. » Il y avait donc nécessité d’écrire deux chapitres sur les noms propres, et ce ne sont pas les moins riches en révélations. Par exemple, tout le monde admet qu’un nom commun ou substantif est celui qui indique la qualité de toute une espèce, et que le nom propre est celui qui sert à désigner un individu. Il y a près de vingt siècles, hélas ! que Varron a débité cette hérésie, reproduite par tous les faiseurs de grammaire, et que l’Université laisse encore enseigner aux petits enfans. « Eh bien ! s’écrie M. Granier de Cassagnac, malgré l’autorité de Varron et des philologues qui l’ont suivi, la prétendue différence signalée entre les noms propres et les noms communs est un préjugé sans fondement et une erreur de fait ! Cette différence n’existe pas. Les noms propres et les noms communs sont absolument une seule et même chose. Cela vient de ce que les noms propres sont tous significatifs par eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils désignent des choses avant de désigner des personnes. » Nous avions cru jusqu’ici que la valeur grammaticale d’un mot est moins déterminée par sa signification intrinsèque que par son emploi dans le discours : nous étions dans l’erreur, et l’erreur est bien permise en pareille matière. Écoutez ce qu’en pense M. Granier de Cassagnac (page 122) : « Peu de gens se font une idée exacte de ce que c’est qu’un nom propre. Si nous prenons pour exemple l’auteur du Cid, Pierre Corneille, il n’est presque personne qui ne s’imagine que son nom propre c’est Corneille. Eh bien ! c’est là une erreur. Corneille n’est pas le nom propre et personnel de l’auteur du Cid, puisque ce nom désigne également son frère, l’auteur du Comte d’Essex, comme il avait désigné son père et comme il a désigné ses descendans. Le nom propre de Corneille, c’est Pierre, parce que ce nom le désigne personnellement, directement, proprement, parmi les membres de sa famille. »

M. Granier de Cassagnac, qui tient à prouver que tous les noms appellatifs ont été dans l’origine des épithètes appropriées aux individus, entonne une interminable histoire de noms hébreux, grecs et latins avec leur interprétation littérale. Il nous révèle, par exemple, qu’Eusèbe veut dire pieux, et Mélanie, noire. Quant aux noms français, il les divise en sept catégories bien distinctes, applicables à trois classes d’hommes. La première est celle des gentilshommes ; les deux autres sont fournies par les esclaves ruraux, ancêtres de nos agriculteurs et par les esclaves industriels, dont l’affranchissement a fait les marchands et les ouvriers de nos villes. L’auteur prend la peine de nous expliquer comment les gentilshommes qui possédaient des provinces, des villes, des châteaux, des domaines, ont fait du nom de leur propriété celui de leur famille en y ajoutant la particule de. Les noms pris par les esclaves, à l’époque