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LE VOYAGE D’UN HOMME HEUREUX.

œuvre immense. Ma maison est située entre ma terrasse aux acacias et mon jardin, qui est beaucoup, mais beaucoup plus grand que votre salon, lorsque je suis seul à vous raconter si heureusement les toutes petites misères de ma vie. Dans ce jardin, prenez garde de vous heurter, vous avez à votre droite un bosquet de lauriers (ce n’est pas moi qui l’ai planté), et à votre gauche un bosquet de roses ; dans le fond de la grotte (il y a une grotte), l’eau coule à grand bruit ; des deux côtés, vous avez des lacs jaillissans comme nous en avons vu au palais Doria, ni plus ni moins. Certes, il eût fallu me voir faisant gravement en trois pas le tour de mes domaines. Quant à la maison, voici comment elle se compose ; nais je vous avertis qu’elle n’est pas à louer ni à vendre et que je la garde l’an prochain pour y recevoir tous ceux que j’aime : le rez-de-chaussée contient la salle à manger, les cuisines et deux fontaines ; le premier étage (nous avons deux étages et un grenier) est distribué à merveille, et si vous saviez quel beau salon dont la vue se perd tout au loin ! La maison, toute magnifique que je l’ai vue, est petite et modeste. Sans trop d’efforts de générosité, les envieux que je puis avoir, qui n’en a pas ? me pardonneraient cette bonne fortune. Tout petit qu’il est cependant, mon palais de Lucques renfermait un illustre membre de la pairie anglaise, sa femme, ses enfans, toute sa famille. Ils étaient venus là les uns et les autres pour y passer cinq ou six mois de calme et de repos. La dame avait apporté avec elle ses tableaux et sa tapisserie commencée, le lord ses revues et ses livres, ses enfans leurs plus beaux jouets, les servantes leurs plus beaux habits. La maison se ressentait à merveille de pareils hôtes. Elle s’était parée tant qu’elle avait pu de ce bien-être inutile, de ce luxe élégant, de ces souvenirs de la patrie jetés çà et là sur les murailles, sur les meubles, par un heureux hasard. Même vous, madame, qui êtes grand’mère déjà, vous qui êtes entourée d’une si charmante famille d’enfans jaseurs, ces pies blondes et roses aux caquets joyeux comme leur pensée, vous ne sauriez croire combien les jolis enfans que j’ai trouvés là ont embelli notre maison, le petit garçon surtout, un morveux tout animé de l’enthousiasme de ses cinq ans qui venaient de commencer. Il est venu à nous, nous tendant sa main et sa joue. Il portait un manteau d’évêque violet, et il disait gravement la messe. J’avais peur d’abord que ce ne fût une messe protestante, mais non ; et quand le petit évêque fut retourné à son autel, j’eus le plaisir de l’entendre nous dire : Dominus vobiscum, et j’eus l’honneur de lui répliquer : Et cum spiritu tuo, à quoi il répondit par une