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adieu à vous, mon bon et cher Orloff, homme de tant de verve et de tant d’esprit, la plus tendre et la plus franche hospitalité de Florence ; adieu, adieu, je reviendrai l’an prochain, si Dieu le veut.

Personne ne va plus vite qu’un homme triste. Il n’a rien à voir en son chemin, rien ne l’intéresse, rien ne lui plaît ; il en veut au cheval de poste d’aller si lentement. Hélas ! il n’est pas seulement triste de n’être pas arrivé, il est malheureux d’être parti. Le même soir, nous étions à Bologne, et nous trouvions que la ville était sombre, que les monumens étaient grêles, que sa tour penchée était misérable. Rien n’allait bien dans la ville à notre sens. Notre premier soin, ç’a été de demander des nouvelles de Giacomo Rossini, qui s’est enseveli, on ne sait pourquoi, dans sa mauvaise humeur et dans Bologne. Singulier tombeau ! et j’imagine qu’avec de bons yeux vous pourriez lire cette inscription funèbre sur la pierre tumulaire : Robert-le-Diable par Meyerbeer. — Quoi qu’il en soit, Rossini s’est réfugié dans cette ville ; là il dépense dans le plus misérable des farniente les restes précieux de ce beau et fertile génie qui en fera à tout jamais l’une des gloires de l’Europe moderne. Là il vit obscurément, ou plutôt il meurt en détail, ne se doutant guère que le bon Dieu ne met pas au monde des hommes comme lui sans leur imposer pour condition le travail, l’amour de la gloire, l’obéissance à l’inspiration, la reconnaissance pour l’humanité tout entière, qui répète votre nom avec toutes sortes de louanges. Hélas ! cette boutade de Rossini, cet exil volontaire, ce retranchement de la vie publique, Rossini a fini par les prendre au sérieux. Il s’est oublié lui-même dans ce désert. Il a renoncé au bruit, au mouvement, aux amitiés illustres ; que dis-je ? il a renoncé à la gloire. On le cherche en vain dans tout Bologne ; vous diriez, quand vous demandez : où est-il ? que vous demandez un homme mort depuis des siècles ! Cet homme si riche, qu’il pourrait acheter sans trop se gêner deux ou trois des principautés souveraines de l’Italie, il a vendu par économie sa maison de Bologne, se réservant une petite place dans les combles, sous le toit, comme il faisait sous le toit du Théâtre-Italien. C’est là qu’il habite lorsqu’il vient à la ville pour acheter lui-même son poisson et ses légumes ! Et pas un pauvre ne sait son nom ! et pas une jeune cantatrice ne sait où le trouver quand elle a besoin d’un conseil ! Et la France elle-même lui écrirait à genoux pour sauver son Opéra qui se meurt, pour lui demander une messe des morts pour son empereur qui revient, ou tout simplement une marche guerrière pour les batailles à venir, la France entière aurait beau affranchir sa lettre à Rossini, elle n’en recevrait