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plus ; et quand il résout ainsi les plus hautes questions par des fables, il a le sourire sur les lèvres, le sourire de Platon, calme et bienveillant, mais légèrement ironique.

Sans vouloir assurément soutenir l’opinion contraire, je crois qu’il est juste de tenir compte des considérations suivantes, que je me bornerai à indiquer : 1o l’admiration de Platon pour les pythagoriciens ; 2o l’importance qu’il donnait d’après eux à la géométrie ; 3o les symboles numériques, qui sont trop intimement liés à sa théorie des idées pour qu’il ne les ait pas pris au sérieux, au moins sur ce point ; 4o le respect sincère des traditions, qui fait partie du caractère antique ; 5o une certaine superstition dans Socrate, qui pourrait bien revivre dans son disciple ; 6o l’accord de la plupart des mythes entre eux, les mêmes mythes revenant à plusieurs reprises sous des formes différentes ; 7o enfin, l’opinion d’Aristote, qui prend au pied de la lettre et combat sérieusement ces prétendues fictions.

Que de questions épineuses sur lesquelles il faut qu’un traducteur prenne parti ! Un commentateur est bien à l’aise, il donne des raisons pour et contre, et ne se décide que quand il veut et quand il peut ; mais il faut que le traducteur adopte une opinion précise, le traducteur français surtout. Il y a une certaine manière d’éluder la difficulté en latin ; c’est de mettre un mot pour chaque mot grec, de s’inquiéter un peu de la latinité, un peu de la syntaxe ; et du sens, pas du tout. J’en atteste Marsile Ficin, Cornarius et Jean de Serre, quoique leurs traductions aient leur mérite. Le souvenir de certaines traductions de Windischmann me ferait presque penser que la langue allemande a le même privilége. Le lecteur hésite beaucoup en présence de ces énigmes, car il y a quelqu’un qui ne comprend pas, et c’est lui, ou le traducteur. Si c’est là un bénéfice, la langue française nous le refuse tout-à-fait. Chez nous, ce n’est jamais celui qui ne comprend pas, c’est toujours celui qui n’est pas compris qui a tort. Voilà pourquoi une traduction française est véritablement une édition ; partout où le texte est douteux, on voit quelle est la leçon que le traducteur a choisie. Il est plus difficile de se déterminer avec Platon qu’avec tout autre, et cela tient à la forme du dialogue. C’est le style de la conversation, rempli de négligences volontaires, de locutions familières, de réticences, de phrases inachevées. On sait combien les mêmes motifs rendent quelquefois difficile la traduction des auteurs comiques ; que l’on juge des difficultés de ce même langage appliqué aux questions les plus abstraites.

M. Cousin s’est heureusement tiré de ces difficultés philologiques.