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L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

déplorable qu’on pût renouveler un aussi irrévérencieux parallèle. Et cependant, en s’obstinant à faire des choix qui, tout en étant fort honorables, ne seraient pas moins exclusifs des noms purement et véritablement littéraires, l’Académie donnerait à penser qu’elle ne reconnaît aucun homme d’imagination, aucun poète, aucun historien, aucun critique, digne en ce moment de prendre place au milieu d’elle. Une telle déclaration serait bien grave.

Nous ne lui rappellerons pas qu’elle vient de laisser mourir un des écrivains de ce temps les plus manifestement désignés à son choix, un homme qui à la plus exquise perfection du style joignait les opinions littéraires les plus saines et les plus pertinemment conservatrices, l’illustre M. Daunou. Nous ne ferons pas non plus à l’Académie française un reproche de l’absence de deux célébrités européennes, M. de La Mennais et Béranger. Ni l’un ni l’autre ne se sont présentés à ses portes. Mais, à côté de ces deux noms, n’y en a-t-il pas beaucoup d’autres ? Je ne parlerai pas de celui que toutes les voix désignent. Il ne reste rien à dire de M. Victor Hugo. D’ailleurs, je défends ici la cause des lettres, non celle de tel ou tel littérateur. Comment ! l’Académie française croirait devoir aller chercher ses membres parmi les hauts dignitaires de l’église ou de la diplomatie, quand, pour réparer ses pertes, elle a, parmi ses frères en littérature et en poésie, des hommes tels que M. Victor Hugo, M. Ballanche, M. Sainte-Beuve, M. Alfred de Vigny, M. Augustin Thierry, M. Mérimée, M. Alfred de Musset, M. Alexandre Dumas, M. Jules Janin, M. Patin, M. Bazin, M. Ampère, M. Quinet, M. Ph. Chasles, etc… L’auteur d’Antigone, avec son style à la fois si antique et si français, n’est-il pas un écrivain d’une pureté parfaite, en même temps qu’un poète et un penseur d’une extrême originalité ? M. Sainte-Beuve, comme romancier, comme poète, comme critique, comme historien littéraire et psychologiste, ne montre-t-il pas dans tous ses écrits une vérité de touche, une ouverture de sentimens, une vivacité de coloris et d’intelligence qui ne permet plus à la France d’envier à l’Angleterre ses laquistes, ni son Jean-Paul à l’Allemagne ? N’est-ce pas une imagination pleine de grace et de puissance que celle du chantre d’Éloa, de Chatterton et de Cinq-Mars ? Quel peintre plus vrai, quel narrateur plus expressif, quel écrivain à la fois plus sobre et plus complet, plus concis et plus émouvant que M. Mérimée ? Je ne veux pas pousser plus loin cette énumération déjà trop longue et peut-être indiscrète. D’autres parleront des écrivains que j’oublie et que je suis bien loin d’écarter. J’ai y voulu seulement indiquer qu’il y aurait bientôt, si l’on n’y prenait garde, possibilité d’imaginer une académie hors de l’Académie.