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dans son sein les restes de Napoléon. D’une main désarmée, elle va graver sur une pierre funéraire le nom de l’homme qui ne lui est cher que parce qu’elle aime en lui sa propre gloire. Contraste étrange et douloureux ! Elle relève les trophées du passé à l’instant où elle vient de baisser la tête devant un danger à venir. Quelles paroles amères pourraient, devant un tel spectacle, échapper à ceux qui en seraient moins navrés que nous !… Mais non, de nos succès et de nos épreuves, du passé et du présent, tirons plutôt une leçon plus sévère et moins désolante. Avec Napoléon, et grace à lui sans doute, la France fut grande ; mais elle sacrifia trop à la force, et, par une loi fatale, elle a durement expié l’excès de la grandeur ; elle l’expie encore aujourd’hui, car elle s’alarme par ses souvenirs. Pour avoir trop osé, elle ose trop peu. L’empereur a compromis la gloire, comme la révolution avait compromis la liberté. On se rappelle le temps où toute liberté semblait anarchie, comme aujourd’hui toute énergie paraît témérité, et notre affaiblissement actuel est encore un vestige d’une toute-puissance dont nous avons trop connu la fragilité. Relevez donc le tombeau de l’empereur, honorez ses restes augustes, offrez au respect des peuples les débris de ce qu’ils ont admiré ; mais jugez la gloire en la célébrant, et que le sort auquel vous êtes en ce moment réduits vous apprenne encore combien coûte cher et long-temps aux peuples l’abus de la force et du génie. Après trente ans, la France se ressent encore d’avoir trop vaincu.

Et cependant la révolution de juillet n’a pas plus restauré l’esprit de conquête qu’elle n’a rétabli le règne de l’anarchie. Ne l’oublions jamais, elle a voulu donner à notre pays la liberté et la puissance ; la liberté et la puissance doivent être sages, mais non timides. On les veut timides aujourd’hui.


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