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REVUE. — CHRONIQUE.

tingué qui n’ait produit sa contrefaçon, assez bonne après tout et qui ferait illusion, durant quelques vers, de telle ode des Feuilles d’automne, de tel hymne des Harmonies.

M. Saint-Marc Girardin a montré avec un grand sens et une grande perspicacité les causes, les résultats de cet abaissement de la haute poésie, de cet accès facile qui la laisse envahir un peu par tout le monde. En cela, M. Saint-Marc regrette les conditions littéraires du XVIIe siècle, et il a raison. « Autrefois, comme il l’a très bien dit, le sentiment existait, mais l’expression était difficile à trouver ; le style était un obstacle, parce qu’il fallait le faire avec peine. Il n’y avait pas autrefois moins d’amoureux, moins de rêveurs, moins de mélancoliques qu’aujourd’hui, mais il était plus difficile d’exprimer aisément l’amour, la rêverie, l’enthousiasme. Il y avait moins de phrases faites sur tout cela. »

Les jeunes poètes peuvent contester quelques-unes des vues de M. Saint-Marc Girardin ; personne n’en contestera l’à-propos, personne surtout ne contestera la verve, l’esprit, le tact littéraire qui animent ces leçons et aiguillonnent incessamment l’auditoire.

L’enseignement dogmatique des lettres, long-temps abandonné à la Sorbonne pour l’enseignement historique, semble cette année vouloir reprendre le terrain qu’il a perdu. On est frappé en effet, en jetant les yeux sur le programme des cours de la Faculté des lettres, d’une coïncidence qui n’a été ni concertée, ni fortuite, dans laquelle il n’y a pas plus de préméditation que de hasard. M. Saint-Marc Girardin a pris pour texte Boileau ; le nouveau suppléant de M. Boissonade, M. Egger, parle de la Poétique d’Aristote, et M. Géruzez cherche dans l’histoire littéraire la confirmation des principes esthétiques qu’il commence par développer.

Serait-ce là le symptôme, je ne dis pas d’un besoin, mais d’une disposition générale des esprits ? Serait-on fatigué, comme se le demandait dans sa leçon d’ouverture le suppléant de M. Villemain, du désordre et de l’anarchie, et cela va-t-il nous ramener aux chartes littéraires du passé ? Pour ma part, je ne le pense pas ; mais ces études seront curieuses, utiles, profitables.

M. Egger a fait sur la Poétique d’Aristote des leçons excellentes, approfondies, pleines de science réelle, de vues, de rapprochemens ingénieux, et cela avec une remarquable facilité de parole. M. Egger est une des meilleures acquisitions de la Faculté des lettres depuis plusieurs années. Le cours de littérature grecque, exclusivement philologique jusque-là, se faisait dans le désert. M. Egger a su y ramener, non pas la foule (la foule a autre chose à faire), mais un auditoire nombreux, fidèle et toujours intéressé. M. Egger a constitué dans la chaire de littérature grecque l’enseignement historique, comme avaient fait M. Le Clerc pour la prose latine, M. Patin pour la poésie. C’est une louable innovation. La leçon d’ouverture, que M. Egger a fait imprimer, mérite d’être distinguée. C’est une vue générale des lettres grecques et de leur influence, qui révèle un esprit ouvert, beaucoup de science et du talent d’écrire.