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VINETTI.

Vallée immense et riche ! partout, comme autant d’oasis, des villages et des caravansérails entourés de groupes de palmiers, de vastes plantations de cannes à sucre ; et, çà et là, des colonnes qui se dressent jusqu’au ciel, des ruines sublimes, des pans de rocs transfigurés en divinités colossales. Pays des rêves de mon enfance ! Est-ce donc là ma patrie ? Ma patrie ! pauvre et malheureux vagabond que je suis !

Là s’élevait la ville des Pharaons, la ville antique et sainte, avec ses temples gigantesques, ses fastueux palais de rois. De tant de luxe et de grandeur et de magnificence, que reste-t-il aujourd’hui ? Un chaos de ruines indestructibles, de débris qui semblent défier l’éternité ; une énigme de pierres, un feuillet arraché d’une histoire antique et bizarre, un feuillet que nul ne saurait classer ni déchiffrer.

Memnonium.

Là sont assis dans leur immobilité funéraire deux spectres gigantesques qui projettent au loin leur ombre. Ils gardent le cercueil de l’antique Égypte, entourés de statues croulantes, d’obélisques, de chapiteaux, membres épars de splendides colonnes, entourés de blocs de pierre parsemés d’hiéroglyphes ; colosses abolis, on ne les entend plus désormais saluer d’un tintement sonore le soleil qui se lève.

Ici est le sépulcre d’Osymandias. Un bloc de granit énorme gît sur le sol ; du plus loin qu’on l’aperçoit, on reconnaît une tête d’homme dans cette masse de pierres, la tête du conquérant du monde, Osymandias ou Bonaparte ?

Les dieux jaunes et verts sont morts, la tête de chien, l’ibis et le grand singe ! les Pharaons ont disparu, et leur momie, pulvérisée dans le mortier d’un apothicaire, sert de vomitif aux manans. L’Égypte toute entière sommeille dans les vastes salles de ses sépulcres de granit, et cependant un peuple errant et dispersé par le monde, plus vieux que la vieille Égypte elle-même, un peuple misérable existe encore, et le dernier rejeton de Ickso le Bohême foule sous ses pieds la poussière des rois et des dieux. Qui m’a dit que Fleur d’Azur était la fille des Pharaons ? Vinetti, où donc es-tu ? Qui t’entraînait devant moi sur ces flots, dans cette nuit d’horreur ? Je veux prendre mon désespoir corps à corps et lutter avec lui comme avec un mameluck dans l’étroit défilé de Dongolah.

Cafrekarnack.

De même qu’un homme tombé dans la mélancolie et la démence