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VINETTI.

ces images fantastiques qui l’égarent. Demain, je pars pour Alexandrie, j’ai retrouvé les trois cents pièces d’or que je portais cousues dans ma ceinture ; elles pourvoiront aux frais de ma traversée. Je veux faire un pèlerinage au tombeau de mon père.

Alexandrie.

Je suis arrivé ici sous le costume d’un négociant européen ; un navire marchand de Hambourg est au port ; après-demain je m’embarque dessus. Comme tout est changé ! Pareil au nuage chargé d’éclairs et de tempêtes, Bonaparte a passé. Aujourd’hui tout est calme et silencieux comme autrefois. Le Turc indolent, assis les jambes croisées devant la porte du café, pousse dans l’air bleu des bouffées de tabac, les regarde s’évanouir, puis recommence. Les chameaux vont et viennent ; les maisons ont toujours leurs toits plats et leurs galeries, les mosquées leurs minarets et leurs sveltes colonnettes, et toujours le désert immense s’étend au dehors avec ses éperviers qui croassent et ses chacals qui hurlent. Nous avons passé comme la foudre. Je suis un lâche compagnon, car je pleure à l’égal d’une femme.

Les esprits du monde fantastique sont encore venus m’assaillir ; ils ne me laissent pas de trêve, car je suis leur plus vieil ami, celui auquel ils s’attachent de préférence. Les voilà tous encore, avec leurs faces bizarres, sérieuses et pourtant risibles. — Hier, l’honnête fellah entra tout à coup dans ma chambre, il venait du fond de la Thébaïde, et ses deux fils qui le suivaient m’apportaient cette belle momie qui faillit à Gournah me faire perdre la raison. Ce mendiant me donne pour souvenir une fille de Pharaon. Elle est enveloppée de fines bandelettes couvertes de signes hiéroglyphiques. Ma destinée serait-elle écrite là d’avance ? Elle veut passer en Europe avec moi. Le destin me domine de toute sa puissance, je me soumets.

Égypte, vain fantôme des nuits, rentre dans ton sépulcre de trois mille ans ! Le roulement des tambours français, l’explosion des canonnades ne t’éveille plus en sursaut. Poursuis tes songes mystérieux ; rêve de Sésostris, d’Alexandre et de Bonaparte, jusqu’à ce que le sable ait englouti tes sphynx et tes gigantesques ruines, jusqu’à ce que le simoun règne seul dans le vide.

IV.

Là se termine le journal du Bohême, dit Melchior en s’interrompant.

— Mais la belle Vinetti, cette fiancée mystérieuse dont il ne parle qu’avec délire, qu’est-elle devenue ? demanda Ottilie.