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DÉBATS PARLEMENTAIRES.

Que s’il en est autrement, et si l’alliance du 15 juillet est destinée à résister aux complications prochaines de l’Orient, la France peut voiler pour jamais la statue de sa gloire, et descendre silencieusement et sans résistance au rang des puissances secondaires, car l’arrêt porté sur elle sera devenu irrévocable. L’alliance de l’Angleterre et de la Russie, c’est à la fois la paix et l’asservissement du monde ; c’est son asservissement fondé sur l’abaissement politique de l’Allemagne et de la France ; c’est la paix telle que la servitude la donne, la paix et pour long-temps peut-être, car le partage de la terre serait consommé.

Qu’on veuille bien ne pas sourire trop dédaigneusement à ces périls fantastiquement évoqués, qu’on ne dise pas surtout avec une gravité bouffonne que l’empire de l’Inde sera le sujet d’une éternelle hostilité entre la Russie et la Grande-Bretagne, comme si les Russes convoitaient le Bengale pour s’y établir, comme si, une fois rendus à Constantinople, ils songeraient encore à aller à Calcutta, comme si leurs tentatives actuelles aux extrémités même de l’Asie étaient autre chose que des étapes vers le Bosphore ! Qu’en appréciant la politique conjecturale, les puissans raisonneurs soient aujourd’hui modestes, et qu’ils sachent bien qu’au temps près, dont le bénéfice ne manque jamais aux nations assez fortement constituées pour l’attendre, il y a moins loin de l’état actuel des choses à celui-là que de l’alliance anglaise de 1839 à l’alliance anglo-russe de 1840.

Le traité de Londres est l’un des évènemens de ce siècle les plus féconds en conséquences menaçantes. Ainsi l’a compris l’instinct public, qui va droit au fond des choses et supprime les transitions pour aborder les situations politiques dans leur réalité intime et leurs fatalités logiques ; ainsi le comprend sans doute aussi le cabinet du 29 octobre, lors même qu’il affecte d’en amoindrir la portée en le réduisant aux proportions d’une sorte de représailles contre l’arrangement direct ; autrement il serait insensé d’imposer à la France les énormes sacrifices qu’on lui montre en perspective pour deux années, car il n’y aurait aucun motif sérieux à ces armemens hors de toute proportion avec nos ressources. Ou le cabinet nouveau sacrifie à une sorte de respect humain et aux considérations les plus coupables l’or et les forces vives du pays, ou il s’inquiète autant que nous-même d’un accord et d’un avenir sur lequel il est loin d’avoir dit sa pensée tout entière.

Le traité du 15 juillet n’a pas seulement donné à l’affaire d’Orient une direction déplorable pour la France ; il a tristement révélé son