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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

Quoique la tyrannie des assentistes ait disparu, le bétail ne s’est point relevé de sa ruine, et il ne s’en relèvera pas, tant que le droit d’exportation sera limité au commerce des pourceaux. On voit fort peu de bœufs et de vaches dans la plaine, aucunement dans la montagne. La viande est maigre et coriace. Les brebis sont de belle race, mais mal nourries et mal soignées ; les chèvres, qui sont de race africaine, ne donnent pas la dixième partie du lait que donnent les nôtres. L’engrais manque aux terres, et, malgré tous les éloges que les Marjorquins donnent à leur manière de cultiver, je crois que l’algue qu’ils emploient est un très maigre fumier, et que ces terres sont loin de rapporter ce qu’elles devraient produire sous un ciel aussi généreux. J’ai regardé attentivement ce blé si précieux que les habitans ne se croient pas dignes de le manger ; c’est absolument le même que nous cultivons dans nos provinces centrales, et que les paysans appellent blé blanc ou blé d’Espagne ; il est chez nous tout aussi beau, malgré la différence du climat. Celui de Majorque devrait avoir pourtant une supériorité marquée sur celui que nous disputons à nos hivers si rudes et à nos printemps si variables. Et pourtant notre agriculture est fort barbare aussi, et sous ce rapport nous avons tout à apprendre ; mais le cultivateur français a une persévérance et une énergie que le Majorquin mépriserait comme une agitation désordonnée.

La figue, l’olive, l’amande et l’orange viennent en abondance à Majorque ; cependant, faute de chemins dans l’intérieur de l’île, ce commerce est loin d’avoir l’extension et l’activité nécessaires. Cinq cents oranges se vendent sur place environ 3 fr. ; mais, pour faire transporter à dos de mulet cette charge volumineuse du centre à la côte où on les embarque, il faut dépenser presque autant que la valeur première. Cette considération fait négliger la culture de l’oranger dans l’intérieur du pays. Ce n’est que dans la vallée de Soller et dans le voisinage des criques, où nos petits bâtimens viennent charger, que ces arbres croissent en abondance. Pourtant ils réussiraient partout, et dans notre montagne de Valdemosa, une des plus froides régions de l’île, nous avions des citrons et des oranges magnifiques, quoique plus tardives que celles de Soller. À la Granja, dans une autre région montagneuse, nous avons cueilli des limons gros comme la tête. Il me semble qu’à elle seule, l’île de Majorque pourrait entretenir de ces fruits exquis toute la France, au même prix que les détestables oranges que nous tirons d’Hyères et de la côte de Gênes. Ce commerce, tant vanté à Majorque, est donc, comme le reste, entravé