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la population de l’île et celle du continent. Majorque était devenue le refuge d’autant d’Espagnols qu’il y en pouvait tenir, et les indigènes, retranchés dans leurs foyers, se gardaient bien d’en sortir pour aller chercher des aventures et des coups dans la mère patrie.

À ces causes il faut joindre l’absence totale d’industrie, et les douanes qui frappent tous les objets nécessaires au bien-être d’un impôt démesuré[1]. Palma est arrangée pour un certain nombre d’habitans ; à mesure que la population augmente, on se serre un peu plus, et on ne bâtit guère. Dans ces habitations, rien ne se renouvelle. Excepté peut-être chez deux ou trois familles, le mobilier n’a guère changé depuis deux cents ans. On ne connaît ni l’empire de la mode, ni le besoin du luxe, ni celui des aises de la vie. Il y a apathie d’une part, difficulté de l’autre ; on reste ainsi. On a le strict nécessaire, mais on n’a rien de trop. Aussi toute l’hospitalité se passe en paroles. Il y a une phrase consacrée à Majorque, comme dans toute l’Espagne, pour se dispenser de rien prêter ; elle consiste à tout offrir : La maison et tout ce qu’elle contient est à votre disposition. Vous ne pouvez pas regarder un tableau, loucher une étoffe, soulever une chaise, sans qu’on vous dise avec une grace parfaite : Es a la disposition de usted. Mais gardez-vous bien d’accepter, fût-ce une épingle, car ce serait une indiscrétion grossière. Je commis une impertinence de ce genre dès mon arrivée à Palma, et je crois bien que je ne m’en relèverai jamais dans l’esprit du marquis de ***. J’avais été très recommandé à ce jeune lion palmesan, et je crus pouvoir accepter sa voiture pour faire une promenade. Elle m’était offerte d’une manière si aimable ! Mais, le lendemain, un billet de lui me fit bien sentir que j’avais manqué à toutes les convenances, et je me hâtai de renvoyer l’équipage sans m’en être servi.

J’ai pourtant trouvé des exceptions à cette règle, mais c’est de la part de personnes qui avaient voyagé, et qui, sachant bien le monde,

  1. Pour un pianino que nous fîmes venir de France, on exigeait de nous 700 fr. de droits d’entrée ; c’était presque la valeur de l’instrument. Nous voulûmes le renvoyer, cela n’est point permis ; le laisser dans le port jusqu’à nouvel ordre, cela est défendu ; le faire passer hors de la ville (nous étions à la campagne), afin d’éviter au moins les droits de la porte, qui sont distincts des droits de douane, cela était contraire aux lois ; le laisser dans la ville, afin d’éviter les droits de sortie, qui sont autres que les droits d’entrée, cela ne se pouvait pas ; le jeter à la mer, c’est tout au plus si nous en avions le droit. Après quinze jours de négociations, nous obtînmes qu’au lieu de sortir de la ville par une certaine porte, il sortirait par une autre, et nous en fûmes quittes pour 400 fr. environ.