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quel goût inné préside à son insu à cette disposition capricieuse. La maisonnette est ordinairement composée de deux étages avec un toit plat dont le rebord avancé ombrage une galerie percée à jour, comme une rangée de créneaux que surmonterait un toit florentin. Ce couronnement symétrique donne une apparence de splendeur et de force aux constructions les plus frêles et les plus pauvres, et les énormes grappes de maïs qui sèchent à l’air, suspendues entre chaque ouverture de la galerie, forment un lourd feston alterné de rouge et de jaune d’ambre, dont l’effet est incroyablement riche et coquet. Autour de cette maisonnette s’élève ordinairement une forte haie de cactus ou nopals, dont les raquettes bizarres s’entrelacent en muraille et protègent contre les vents du nord les frêles abris d’algue et de roseaux qui servent à serrer les brebis. Comme ces paysans ne se volent jamais entre eux, ils n’ont pour fermer leurs propriétés qu’une barrière de ce genre. Des massifs d’amandiers et d’orangers entourent le jardin où l’on ne cultive guère d’autre légume que le piment et la pomme d’amour ; mais tout cela est d’une couleur magnifique, et souvent, pour couronner le joli tableau que forme cette habitation, un seul palmier déploie au milieu son gracieux parasol, ou se penche sur le côté avec grace, comme une belle aigrette.

Cette région est une des plus florissantes de l’île, et les motifs qu’en donne M. Grasset de Saint-Sauveur dans son voyage aux îles Baléares, confirment ce que j’ai dit précédemment de l’insuffisance de la culture en général à Majorque. Les remarques que ce fonctionnaire impérial faisait, en 1807, sur l’apathie et l’ignorance des pagès majorquins, le conduisirent à en rechercher les causes. Il en trouva deux principales.

La première, c’est la grande quantité de couvens, qui absorbait une partie de la population, déjà si restreinte. Cet inconvénient a disparu, grace au décret énergique de M. Mendizabal, que les dévots de Majorque ne lui pardonneront jamais.

La seconde est l’esprit de domesticité qui règne chez eux, et qui les parque par douzaines au service des riches et des nobles. Cet abus subsiste encore dans toute sa vigueur. Tout aristocrate majorquin a une suite nombreuse que tout son revenu suffit à peine à entretenir, quoiqu’elle ne lui procure aucun bien-être ; il est impossible d’être plus mal servi qu’on ne l’est par cette espèce de serviteurs honoraires.

Quand on se demande à quoi un riche Majorquin peut dépenser son revenu dans un pays où il n’y a ni luxe ni tentations d’aucun genre, on ne se l’explique qu’en voyant sa maison pleine de sales