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il fait forcer les armoires pour enlever bijoux, lettres ; le miroir même et le luth ont été saisis. Dans la pièce française, on ne voit pas ces objets, et ils ne sont pas nommés ; la nourrice Anna redemande un peu vaguement à Paulet

Ces lettres, ces écrits, ces secrets caractères,
De ses longs déplaisirs tristes dépositaires.

On a récemment blâmé la périphrase ; on n’oublie qu’une chose : en 1820, à la scène, dans une tragédie, le mot propre pour les objets familiers était tout simplement une impossibilité ; il ne devint une difficulté que quelques années plus tard. Cinq ans après, dans le Cid d’Andalousie, le mot chambre excitait des murmures à la première représentation. Le Globe[1] était obligé de remémorer aux ultra-classiques le vers d’Athalie :

De princes égorgés la chambre était remplie.

Depuis, il faut en convenir, on a terriblement enfoncé la porte de cette chambre ; on a été d’un bond jusqu’à l’alcôve. Mais, avant 1830, chaque mot simple en tragédie voulait un combat et coûtait à gagner presque autant, je vous assure, qu’un député libéral à la chambre durant le temps de la majorité Villèle. M. de Chauvelin nommé, ou un mot propre à travers toute une scène, c’étaient d’insignes triomphes.

M. Lebrun, dans Marie Stuart, satisfaisait les novateurs judicieux par des qualités de langage qu’à cette époque le style élégant de M. Delavigne, ni celui d’aucun autre tragique du moment, n’offraient dans la même nuance. En redescendant du cothurne de l’Empire, on goûtait fort chez lui quelque chose de senti, de naturel et de vrai dans la diction, d’assez voisin de la prose, avec du feu poétique pourtant et des veines de chaleur. La première scène du troisième acte, quand Marie, échappée dans le jardin, se ressaisit du jour et de la libre lumière, fut admirée de tous pour l’expression. Ces vers purs, charmans en effet, et d’une douceur presque racinienne, se retrouvent dans nos mémoires, à nous qui les entendîmes alors, et font partie de nos classiques réminiscences :

........Ah ! laisse-moi jouir
D’un bonheur que je crains de voir s’évanouir.
Laisse mes libres pas errer à l’aventure.

  1. 5 mars 1825, article de M. Trognon.