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bonne ville d’Édimbourg, ivres et perdus de débauche ? » — On écoutait ces plaintes ; on racontait la triste histoire d’un gentilhomme français, Chastelard, qui s’était caché deux fois dans les rideaux de la reine, et qui, décapité pour ce crime, était mort comme un païen, sans Bible et sans crucifix, en répétant l’hymne de Ronsard :

Je te salue, heureuse et profitable mort,
Des extrêmes douleurs médecin et confort !

On parlait du capitaine Hepburn, Écossais qui s’était conduit envers la jeune femme avec une indécente liberté, et qui, menacé de mort, avait pris la fuite. On disait que le besoin d’être adorée, le plaisir d’être belle, une coquetterie mêlée de vanité, portaient la reine à encourager des admirations téméraires, et à oublier la dignité prudente, égide assurée de la pureté féminine. Ces reproches, que les calvinistes transformaient en accusations violentes, se trouvent consignés dans les lettres manuscrites et inédites de Murray à Cecil[1]. Cependant Knox continuait à diriger ses batteries évangéliques, mêlées de sarcasmes et d’injures, contre les mœurs de cette jeune cour, contre les Guises, l’Italie, la danse, la musique et la licence de la reine. Marie alors, suivant son habitude, l’envoyait chercher, argumentait avec lui, écoutait ses imprécations, lui répondait par des raisonnemens et de la colère, et ne parvenait qu’à l’irriter sans le convaincre. « Ne prêchez plus contre moi, lui disait-elle ; venez m’apprendre vous-même ce qui vous fâche. — Madame, j’ai attendu souvent dans votre antichambre, quand mon office me réclamait. Votre majesté m’excusera, si je la quitte pour les saints livres. » — Elle lui tourna le dos ; Knox souriait. « Il n’a pas peur, » murmuraient les gentilshommes. — « Messieurs, leur dit-il en se retournant, j’ai regardé souvent en face des hommes en colère ; pourquoi la figure d’une jolie femme m’effraierait-elle ? » Rien n’était plus impolitique que ces entrevues. À moins de céder à Knox, il fallait l’écraser : tout compromis avec lui était ridicule ou impossible. Chaque nouvel entretien enhardissait son orgueil et semblait annoncer une concession qu’il attendait et qu’on ne lui faisait pas. Quand il apprit qu’il était question de marier la reine et de la donner à un catholique, il vit la profondeur et la portée de l’atteinte car ce n’était pas seulement un controversiste, mais un chef politique. Sa fureur n’eut pas de

  1. State-papers’ office Ms. Papers. Randolf à Cecil, 18 septembre 1562.