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l’ancienne Amérique espagnole. Ajoutons que l’Espagne avait basé sur la haine de l’étranger le pouvoir absolu qu’elle exerça pendant trois siècles dans ces contrées, et le temps seul peut effacer complètement un préjugé si fatal et si profondément enraciné. Aussi, bien qu’à Buénos-Ayres, un contact plus fréquent et plus ancien avec les étrangers, une certaine confraternité d’armes avec eux pendant la guerre de l’indépendance, des circonstances particulières enfin, aient fort affaibli cette prévention fâcheuse, on y retrouve souvent encore le vieux levain d’antipathie presque judaïque que la race espagnole semble porter dans son sang contre toutes les autres races.

La révolution de juillet amena de notre part un changement total de politique à l’égard de l’Amérique espagnole ; malheureusement, il faut le dire, nous nous jetâmes dans un autre extrême. Les plaintes du commerce contre les préjugés exclusifs des Bourbons de la branche aînée avaient été si vives, si générales, qu’on crut devoir donner une satisfaction à cette espèce de cri public, et faire un acte de haute politique, en reconnaissant sans aucune condition l’indépendance de toutes les nouvelles républiques de l’Amérique. Si alors on eût stipulé pour nos compatriotes établis dans ces contrées des avantages commerciaux, des garanties pour leurs personnes et leurs propriétés, on se fût épargné de grands embarras pour l’avenir ; mais l’idée d’une reconnaissance sans condition avait été si souvent mise en avant, si souvent employée par l’ancienne opposition comme une arme offensive contre les tendances de la légitimité, que personne n’eût osé en contester l’opportunité. On comptait d’ailleurs sur un retour de générosité chez ces peuples nouveaux, auxquels on tendait la main pour les élever tout à coup au rang des nations. Plein de confiance dans les résultats de la haute faveur qu’il venait d’accorder, le cabinet des Tuileries décida donc qu’à l’avenir il entretiendrait à Buénos-Ayres un consul-général chargé d’affaires. Le premier qu’on nomma fut M. de la Forêt.

Mais la reconnaissance n’est point la vertu des peuples. La République Argentine refusa tout net l’envoyé diplomatique de la France, sous le prétexte que sa conduite dans une mission précédente au Chili avait été hautement blâmable. Certes, la leçon était sévère pour le ministère des affaires étrangères et rudement donnée. La France ne s’émut point à cet affront fait à son représentant par une petite république lointaine dont elle connaissait à peine le nom. Nous nous contentâmes de remplacer M. de la Forêt. Le choix tomba sur le marquis de Vins de Peyssac, qui avait déjà rempli les fonctions de consul-général successivement à Cadix, à New-York, à la Havane. Le caractère conciliant de M. de Vins de Peyssac était bien connu. Cependant, pour éviter toute difficulté, il lui fut recommandé de se faire reconnaître d’abord en sa qualité de consul-général seulement, et de ne présenter ses lettres de créance comme chargé d’affaires de France qu’après avoir bien sondé les dispositions du gouvernement argentin, et s’être assuré d’une manière positive que l’exequatur lui serait accordé sur-le-champ. Malgré cette prudente invitation, M. de Peyssac se fit tout d’abord annoncer avec son double titre,