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DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

prévôt : « Ce n’est rien, la reine et moi nous nous amusons. — Sous le bon plaisir de votre grace, nous voudrions voir la reine. — Et moi, ne suis-je pas le roi ? Retirez-vous avec votre troupe, je vous l’ordonne ! » Ils obéirent.

Cette jeune femme, sur le point d’accoucher, prisonnière des assassins, parmi lesquels est son mari, les trompe, les dompte, leur échappe, et ramène à elle Darnley. En huit jours, elle a repris son pouvoir. Montant à cheval, malgré son état de grossesse avancée, elle se réfugie à Dunbar, brave tout, nomme hardiment à la place de David son frère Joseph Riccio, donne naissance à ce misérable enfant, vrai fils de Darnley, pauvre d’esprit et riche de vices mesquins comme son père, qui s’appela Jacques Ier, et se retrouve reine des Écossais, car il faut remarquer que ce titre de reine d’Écosse n’appartenait point à Marie ; elle était queen of Scots (des habitans, non de la terre d’Écosse), et les lois du royaume établissaient entre ces deux désignations une distinction scrupuleuse. Élisabeth a perdu ses peines, et Darnley son crime. Les agens de la reine d’Angleterre, déçus dans leur espoir, écrivent et répandent que Riccio, rival heureux du roi, a été poignardé par lui : « Fece scrivere per suo secretario Cecille… che la causa di tutto, era perche il re aveva trovato Ricciolo a dormire con la regina… Che non fu mai vero[1]. » Mais une nouvelle tragédie couve lentement : c’est l’assassinat de l’assassin Darnley.

Trois mois après la scène de la salle à manger, Marie, malgré l’aveu de Ruthven, refusait encore de croire Darnley coupable ; elle ne pouvait penser qu’il eût formé le dessein d’assassiner son secrétaire sous ses yeux. Lui-même niait le fait : à toutes les enquêtes de Marie, cet enfant traître répondait qu’il était innocent, que Ruthven, Morton, Car, avaient seuls tramé le crime, et qu’il en avait repoussé même la pensée. Dénoncés par lui, ils s’irritent, livrent la preuve de sa complicité à Marie Stuart, et placent sous les yeux de la reine les actes de la ligue (bands) formée pour se débarrasser de l’Italien : la signature du roi attestait sa participation, non-seulement comme complice, mais comme promoteur. Elle eût pardonné à l’assassin, elle abhorra le lâche ; elle vit quel était cet époux, traître envers elle, traître envers tous, traître à son honneur, parjure, infâme. « Elle pleura amèrement, dit Melvil[2]. »

  1. Avvisi di Scozia. Ms. des Archives Médicéennes ; collection du prince Labanoff.
  2. 8 octobre 1566, lettre à Cecil.