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ennemi, mais tout prêt cependant à faire de grandes concessions ? Ou bien était-ce réellement son dernier mot, c’est-à-dire un refus net d’accommodement ? Nos agens s’arrêtèrent à cette dernière interprétation : leur réponse fut que de pareilles propositions ne pouvaient être prises en considération, attendu qu’elles étaient totalement inadmissibles. Elles semblaient en effet cacher un piége, car c’était précisément contre la loi du pays que nous protestions, et particulièrement contre celle du 10 avril 1821, qui dénationalise tout étranger après deux ans de résidence dans la république. M. Buchet-Martigny était blessé au cœur de voir que le général Rosas faisait de cette querelle une question personnelle aux envoyés de la France : il livra à la publicité tous les détails de la négociation, déclarant hautement que l’initiative de l’intervention appartenait au commodore seul, qui même avait dépassé la limite de nos concessions ; il rejetait sur Rosas toutes les conséquences funestes de cette lutte où la France soutenait « la cause de l’humanité et de la civilisation contre un gouvernement qui refusait de se soumettre, non-seulement au droit des gens, mais aux lois éternelles de la justice et de l’humanité. »

Nous savons que du haut point de vue de notre patrie on regardera peut-être avec mépris tous les détails où nous venons d’entrer, et l’on se demandera si la France, cette nation qui compte 33 millions d’habitans, une armée de 500 mille soldats, trente vaisseaux de ligne armés et 56 mille matelots, mesure à une parole près les démarches qu’elle fait pour rester en paix avec une petite république qui pourrait à peine armer dix mille soldats, et dont la principale défense est dans l’étendue de ses déserts ; mais nous prions qu’on daigne prendre en considération que par-delà l’Atlantique, à deux mille lieues de distance, la grande voix de la France n’arrive que comme un écho fort affaibli.

Dès-lors tout arrangement parut impossible, les passions haineuses déchaînées ne gardèrent plus de mesure dans leur langage ; les Orientaux ennemis du général Rosas et les Argentins proscrits envenimèrent la querelle, on souffait partout la guerre à mort contre Rosas ; mais comment y entraîner la France ? M. Roger partit avec la mission de faire valoir auprès du gouvernement les vues de nos agens.

Au début de la querelle, personne ne contestait au général Rosas le titre de représentant légal de la République Argentine ; nous exigions seulement certaines concessions pour renouer avec lui nos relations de bonne amitié. Mais quand nous eûmes pris parti dans les intérêts de localité, que nous nous fûmes associé des haines privées, l’affaire se dénatura, la question cessa d’être française et devint cis-platine. Nos efforts n’eurent plus pour but principal les satisfactions dues à la France, mais le renversement de Rosas. Sans avouer cette prétention devant laquelle notre gouvernement se fût certainement cabré, il s’agissait de compromettre à son insu la France, de telle manière qu’elle s’en fit pour elle-même un point d’honneur. Voici quelle tactique on suivit : on représenta le général Rosas comme un tyran universellement exécré, comme un fou furieux honni de ses compatriotes, et qui ne conservait une apparence d’autorité que par des moyens de terreur, par les plus atroces