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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

et dont ils se servent pour rendre ma cause odieuse ! » Et alors il agissait sans consulter Ferré, sans lui donner avis de ses résolutions, quelquefois même malgré les ordres qu’il en avait reçus. Il demandait à nos officiers de le transporter secrètement lui et sa troupe sur l’autre rive du Parana, au mépris des promesses les plus sacrées.

Jusqu’ici nous n’avons point parlé de la guerre de plume qui marchait de front avec la guerre d’épée. Imaginez de grossières injures dans le goût des héros d’Homère ; appelez le général Rosas l’infâme Rosas, le tyran sanguinaire, le monstre féroce ; Echague et Lopez, des sauvages immondes ; Urquiza, Lavalleja et Oribe, des vandales sur lesquels il faut prononcer anathème et guerre à mort ; qualifiez Lavalle et ses adhérens du titre d’assassins ; nommez-nous enfin les dégoûtans Français ; puis brodez, à l’aide de ces auxiliaires du langage, un tissu de calomnies bien noires, de conceptions hideuses et fantastiques, et vous aurez une idée de la polémique des journaux et des gouvernans du pays, et même des proclamations des chefs. Nous devons dire ici cependant qu’à partir du moment où le contre-amiral Dupotet mouilla sur la rade de Montevideo, les journaux argentins, auparavant si véhémens, si pleins d’invectives et d’ignobles injures contre nous, quittèrent tout à coup à notre égard ce jargon des halles et ne laissèrent même plus échapper une parole insultante pour nous ; leurs armes étaient devenues courtoises.

Echague, rentré dans sa province avec les débris de son armée, avait rallié successivement les divers corps de troupes éparpillés dans l’Entre-Rios, et s’était posté à quinze lieues environ de la Bajada, sa capitale. Nos officiers, habitués à la tactique des armées disciplinées de l’Europe, ne s’expliquèrent pas comment le général Lavalle n’avait pas couru sur son ennemi au moment où celui-ci rentrait en désordre ; mais les nouvelles troupes du libérateur n’étaient que de la cavalerie mal organisée, des milices à demi sauvages qu’aucun frein de discipline n’avait encore instruites à se rallier autour du drapeau. De pareils soldats, pour qui le pain est une chose presque inconnue, et qui ne vivent que de bestiaux, traînent à leur suite des troupeaux entiers. Avec de telles bandes, le général eût compromis sa cause et celle de Corrientes, s’il se fût engagé à la légère à la poursuite d’un ennemi insaisissable et pourtant aguerri. Il ne le fit pas ; il aima mieux attendre que son adversaire fût campé. Ce camp d’Echague était bien choisi. L’artillerie, de six pièces de canon, et l’infanterie, composée de sept cents hommes, occupaient à la droite un mamelon sur les bords du ruisseau de don Cristoval ; la cavalerie, étendue sur une ligne à gauche, barrait le chemin à l’ennemi. Lavalle se présenta à la tête de deux mille sept cents hommes ; c’était le 10 avril. Il descendait des collines après une pénible marche, et voulait gagner le ruisseau pour y abreuver ses chevaux. La cavalerie d’Echague prétendit s’y opposer et se porta en avant ; mais la soif aiguillonnait les premiers escadrons de l’armée libératrice : ils n’attendirent aucun signal et chargèrent la lance au poing, entraînant presque toute l’armée du même mouvement contre la gauche de l’ennemi, qui plia. Ils voulurent enlever de même l’artillerie et l’in-