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diatement au bord de la rivière, d’où il aurait pu communiquer facilement avec sa flotte, et se procurer ainsi sa grosse artillerie. On trouva des inconvéniens à ce projet ; c’étaient d’abord une grande perte de temps, puis le danger de laisser les soldats anglais exposés aux intempéries de l’air, enfin les conséquences d’un bombardement sur l’esprit de la population, qu’on s’aliénerait ainsi, car les bombes frapperaient à la fois et les soldats en armes et les citoyens paisibles. Au moment d’agir, on consulte, on change d’avis et l’on décide « qu’on délogera l’ennemi pour l’acculer dans un coin de la ville ; là on lui fera beaucoup de prisonniers, ce seront autant d’otages et de rançons pour les soldats de Whitelocke, tandis que le bourgeois, tranquillement tapi au fond de sa maison, pourra échapper au danger de l’attaque. » Les assaillans durent traverser la ville dans toute sa longueur pour aller s’établir sur les terrasses les plus élevées du bord de l’eau, et prendre position sur les points culminans d’où l’on dominerait la place. On croyait que les habitans ne feraient aucune résistance ; les soldats anglais marchèrent en avant l’arme au bras, le fusil déchargé. Mais voici qu’au lieu de l’indifférence sur laquelle on comptait, on trouve tout le monde en armes, les rues barricadées, coupées de fossés et défendues par des canons, l’ennemi du haut des terrasses et sur tous les édifices fusillant impitoyablement les Anglais à coups de mousquet, les femmes même lançant dans la rue des grenades et des pierres, tous les propriétaires à la tête de leurs noirs défendant leurs maisons ; en un mot, chaque citoyen était devenu soldat, chaque maison était une forteresse. Whitelocke perdit deux mille cinq cents hommes. Il n’y eut bientôt plus que deux moyens de se tirer de là, ou en traitant, ou en se rembarquant sous le feu de l’ennemi. Les Anglais préférèrent le premier moyen ; ils consentirent à abandonner toute la Plata. On voit encore leurs drapeaux appendus aux murailles de la cathédrale ; la religion prête ses solennités à ce grand souvenir de la patrie.

Entre ces expéditions et celle que nous méditions, les différences sont trop saillantes sans doute pour qu’il soit nécessaire de les faire ressortir davantage. L’amiral Baudin pesa les chances diverses de succès, puis il répondit à son gouvernement que, si le général Rosas le forçait à la guerre, il saurait bien planter son drapeau sur les murs de Buénos-Ayres et l’y maintenir, et que ce serait sur le sol argentin, mais sous les trois couleurs de la France, qu’il signerait alors le traité pour lequel il allait combattre. Et personne ne douta qu’il ne tînt parole. Les navires destinés à son expédition partirent successivement des divers ports de France pour se réunir sous ses ordres dans la Plata ; lui-même se rendit à Cherbourg, où il arbora son pavillon sur la frégate la Gloire. Un ardent enthousiasme animait tous nos marins ; on n’attendait plus que les vents favorables pour appareiller, quand tout à coup on annonça que l’amiral Baudin ne commandait plus l’expédition. Six heures encore, et la fatale dépêche télégraphique fût arrivée trop tard, la brise qui se leva eût emporté l’amiral Baudin avec notre flotte vers l’Amérique. L’amiral a cru devoir garder le silence sur les motifs secrets de sa disgrace, ce n’est pas à nous de les révéler ; disons seulement qu’ils commirent une étrange ma-