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votèrent encore la dictature, mais le peuple entier, consulté nominativement. Faut-il attribuer à la terreur cette voix irrésistible des masses ? On peut au fond de son cœur détester le principe qui pousse ainsi le peuple ; mais vouloir lui prouver par la violence qu’il se trompe, le civiliser par le sabre, c’est folie aujourd’hui.

§ IX. — NÉGOCIATIONS ET TRAITÉ.

Nous avons successivement exposé la situation des provinces argentines telle que l’ont envisagée nos agens et les unitaires proscrits, et telle qu’elle s’offre à l’observateur impartial ; nous avons dit les illusions et les fautes ; nous avons essayé de peindre fidèlement l’homme avec lequel l’amiral de Mackau devait combattre ou traiter : nous touchons maintenant à la solution.

L’amiral de Mackau se présenta dans la Plata sur la frégate la Gloire. Ce fut à Montevideo qu’il alla mouiller d’abord, le 23 septembre. Montevideo s’élève à l’opposite de Buénos-Ayres, sa rivale par sa position sur la Plata, comme dans ses intérêts les plus chers. Elle aspire hautement à devenir bientôt la tête d’une confédération des provinces situées à l’est du Parana, rejetant sur la rive occidentale de ce fleuve la frontière de la République Argentine. Elle serait ainsi l’entrepôt de tout le commerce de l’Uruguay et d’une grande partie de celui qui remonterait et descendrait le Parana entre Martin-Garcia, le Paraguay, et par-delà les Missions la frontière du Brésil. Sans attacher trop d’importance aux éventualités d’un avenir fort éloigné sans doute, et en tenant compte seulement des faits accomplis sous nos yeux, nous devons dire que Montevideo grandit et s’enrichit de tout ce qui abaisse et appauvrit Buénos-Ayres. Elle a passé par-dessus ses anciennes murailles, et ses maisons couvrent un espace double de celui qu’elles occupaient naguère. Pendant notre blocus, ses richesses et son commerce se sont accrus comme par enchantement ; le revenu de ses douanes avait décuplé.

Tout s’émut à l’arrivée de l’amiral de Mackau ; toutes les passions intéressées au même but s’unirent. Ce fut une conspiration unanime entre les ministres de l’état oriental, nos agens consulaires, les habitans du pays, les proscrits argentins et nos compatriotes, qui, sur la promesse illusoire d’une guerre d’extermination contre Rosas, s’étaient jetés dans des spéculations aventureuses ; il s’agissait d’entraîner l’amiral plénipotentiaire dans la voie où depuis si long-temps on s’était fourvoyé, de l’escamoter, pour ainsi dire, au profit des intérêts de localité, comme on avait fait de l’amiral Leblanc, et plus tard de M. Buchet-Martigny ; il fallait le pousser à mettre hors la loi des nations le tyran Rosas, et engager enfin irrévocablement la France dans une interminable guerre.

L’amiral s’établit dans la ville ; il voulait éclairer sa conscience et ne se décider qu’avec une connaissance parfaite des hommes et des choses. Sa porte fut ouverte à tout le monde ; il écouta toutes les plaintes, toutes les douleurs.