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THÉATRE ESPAGNOL.

drame comprend le sentiment et les devoirs de l’honneur n’a rien d’étrange pour nous. La situation donnée, sa conduite nous paraît parfaitement droite et naturelle. Le sentiment et la raison s’accordent pour la sanctionner.

Nous n’en dirons pas autant d’un autre drame beaucoup plus célèbre que l’Alcade de Zalamea, et dans lequel tout l’art, tout le génie du poète suffisent à peine pour surprendre notre intérêt en faveur d’une combinaison qui, exposée avec moins de talent, nous révolterait sans aucun doute et froisserait notre délicatesse aussi bien que notre humanité. Nous voulons parler de Garcia del Castañar. Cette comédie, également connue sous ces deux autres titres, le Paysan homme d’honneur, ou Après le roi personne, n’a pas cessé jusque dans ces derniers temps d’être représentée très fréquemment sur le théâtre de Madrid, où on l’a toujours accueillie avec une faveur marquée. C’est le chef-d’œuvre de Rojas, l’un des plus grands poètes dramatiques de l’Espagne, qui, quelquefois égal à Calderon par ses conceptions tragiques, souvent comparable pour la force comique à Moreto, mériterait peut-être de figurer avec eux au premier rang sans l’infériorité de son style, tout surchargé de gongorisme et déjà empreint de cette barbarie de la décadence, plus insupportable cent fois que celle qui précède les temps de maturité et de perfection.

Le sujet de Garcia del Castañar est assez compliqué pour qu’il soit nécessaire de l’exposer d’abord en peu de mots. L’époque est celle du règne d’Alfonse XI, de ce grand prince qui gouverna si glorieusement la Castille au commencement du XIVe siècle. Garcia del Castañar, ou plutôt, pour le désigner par son véritable nom, le comte Garda Bermudo, est le fils unique et l’héritier d’un puissant seigneur qui, après, avoir joué un rôle important à la cour et dans les affaires de l’état, s’est trouvé compromis par suite des troubles auxquels a donné lieu la longue minorité du roi, et n’a échappé que par la fuite aux terribles conséquences d’une accusation de haute trahison. Le jeune Garda, réduit lui-même à cacher sa naissance pour se dérober aux ressentimens qui dans ces temps barbares poursuivaient trop souvent les proscrits jusque dans leur postérité, Garcia s’est établi au sein des montagnes voisines de Tolède, près du village de Castañar, où, avec les débris de la fortune paternelle, il a acheté des domaines assez considérables. C’est là qu’il attend qu’un ami de son père, le vieux comte d’Orgaz, qui seul possède le secret de son existence, et qui jouit d’un grand crédit auprès du roi, soit parvenu à dissiper les préventions qui pèsent encore sur le fils du proscrit et l’empêchent de prendre dans la société la place qui lui appartient. Plein de confiance dans son généreux protecteur, il se dirige exclusivement par ses conseils. Le comte lui a fait épouser récemment une jeune fille dont la situation a beaucoup de rapport avec la sienne : c’est Blanche de Lacerda, issue de la maison royale, dont le père, après avoir disputé la couronne au souverain régnant, a aussi fini ses jours dans l’exil, et qui, élevée dans un asile obscur que le comte d’Orgaz a ménagé à son enfance, ignore complètement le secret de son illustre origine. Garcia lui-même, bien qu’il n’ignore pas que l’épouse qu’il a choisie est d’une grande naissance,