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Le Roi. — Mais si vous tenez à ce point à ne pas quitter votre retraite, comment avez-vous proposé au roi de l’accompagner à la guerre ?

Don Garcia. — Pardonnez, vous ne me comprenez pas. Le roi, c’est évident, a une dette privilégiée sur la fortune et la vie de tout homme d’honneur. Emporté par son zèle généreux, il se prépare à marcher en Andalousie pour en extirper l’infidélité ; il a besoin pour cela d’hommes et d’argent. Je lui ai fait offrir ma personne avec tout ce que je possède, sans ambition, pour remplir un devoir, parce que je considère le sacrifice de mon existence même comme un impôt qui lui est dû, et que je dois acquitter sans attendre qu’il le réclame

Le Roi. — Mais, la guerre finie, ne voulez-vous pas rester à la cour ?

Don Garcia. — On vit ici plus à l’aise et avec plus de sécurité.

Le Roi. — Il pourrait se faire que le roi vous offrît une grande place.

Don Garcia. — Serait-il raisonnable qu’il donnât à un paysan comme moi une place que tant d’autres sont mieux faits pour occuper ?

Le Roi. — Mon cher Garcia, le roi a bien le droit de choisir ses serviteurs ; c’est faire acte de justice distributive.

Don Garcia. — Quoi qu’il en soit, le roi le voulût-il, il ne m’y ferait pas consentir. De telles faveurs sont trop dangereuses, et je sais qu’il ne me conviendrait pas de les accepter. Les favoris des rois sont exposés à trop de périls. J’ai toujours entendu dire qu’il y avait moins de risque à encourir leur haine qu’à obtenir leurs bonnes graces. Dans le premier cas, on se tient sur ses gardes ; dans l’autre, on n’est que trop porté à une imprudente confiance. J’avais un père, homme sage et éclairé, qui me donnait de bons conseils. Il m’a dit plus d’une fois que les rois étaient comme la flamme : d’un peu loin elle échauffe, de trop près elle brûle.

Le Roi. — On a dit aussi que, comme Dieu, les rois avaient la puissance de tirer de la boue qu’ils foulent aux pieds des hommes qui, honorés de leurs faveurs, deviennent l’objet du respect universel.

Don Garcia. — Plus d’une fois ils ont replongé dans le néant celui qu’ils en avaient ainsi tiré.

Le Roi. — C’est que sans doute il ne méritait pas ce qu’on avait fait pour lui.

Don Garcia. — Qu’il le méritât ou non, qu’est-ce que le roi peut donner à qui ne désire rien ?

Le Roi. — Vous pouvez attendre de lui des récompenses.

Don Garcia. — Et des châtimens.

Le Roi. — Il peut vous donner du pouvoir.

Don Garcia. — Et des soucis.

Le Roi. — Des richesses.

Don Garcia. — Qu’on m’enviera.

Le Roi. — Sa faveur.

Don Garcia. — Avec les ennemis qu’elle me vaudra. Ne vous fatiguez pas