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été victime, de s’en relever, et par-là d’échapper au mépris. Cette préoccupation n’était pas celle du XVIe siècle, peut-être parce que, dans la classe seule soumise alors aux exigences de l’honneur, le courage personnel était, par l’effet de l’éducation et des habitudes, une chose trop ordinaire, trop naturelle, pour qu’il fût nécessaire de la prouver. Ce qu’exigeait absolument l’honneur offensé, c’était un sacrifice sanglant, seul capable de laver la tache qu’il avait reçue. La vengeance proprement dite, ce sentiment implacable, si fortement enraciné dans le cœur de l’homme, que la plus extrême civilisation réussit à peine, non pas à l’étouffer, mais à en adoucir les manifestations, la vengeance, dans sa forme la plus rude, la plus cruelle, tel était encore l’impérieux besoin de l’honneur compromis. Pourvu qu’elle fût terrible, peu importait qu’elle fût atroce, qu’elle eût été préparée par les moyens les plus perfides. Le but, promptement, complètement atteint, justifiait les moyens. Tout était permis contre le provocateur. C’était le code de la vie sauvage, prolongeant son empire au milieu d’une société civilisée à tant d’égards jusqu’au raffinement. Il ne faut rien exagérer : l’empire de pareilles idées n’était sans doute ni absolu, ni universel. Le théâtre espagnol lui-même, où nous recueillons tant de témoignages de leur influence, atteste qu’il s’y mêlait souvent de plus généreuses, de plus nobles inspirations, qui semblaient les contredire. Il n’en pouvait être autrement, car la nature humaine, si incomplète, si inconséquente dans le bien, l’est heureusement beaucoup plus encore dans le mal ; mais ce n’étaient là que des exceptions, et il est incontestable que les auteurs des drames du XVIIe siècle ne choquaient pas le public, ne dégradaient pas leurs héros, en leur prêtant les plus affreuses, les plus impitoyables, les plus odieuses vengeances ; que, tout au contraire, la physionomie de ces héros, présentée de la sorte, paraissait plus énergique, plus passionnée, plus digne d’intérêt.

Comment de tels écarts pouvaient-ils se concilier avec l’exaltation pieuse qui dominait tous les esprits, qui animait toutes les imaginations ? Pour résoudre cette question, il suffit de se rappeler ce que les Espagnols avaient fait alors du christianisme. Là où un fanatisme cruel et absurde, appuyé sur les bûchers et les tortures de l’inquisition, avait pris la place du sentiment religieux, il n’y avait pas lieu de s’étonner de voir l’honneur, cette image de la vertu, aussi étrangement dénaturé ; peut-être même était-il difficile qu’il en fût autrement. Nous doutons, en effet, que la morale puisse long-temps rester haine, lorsque la religion, qui en est la base, a reçu, non seulement dans ses formes et dans ses accessoires, mais dans son principe même, des altérations aussi profondes, aussi monstrueuses.

Il n’est pas sans intérêt de rechercher par quelle voie les Espagnols étaient arrivés à d’aussi prodigieux égaremens dans un siècle qui n’était certes pas un siècle d’ignorance et de barbarie. Peu de mots suffiront pour l’expliquer. Il est dans la nature de l’esprit espagnol de tout exagérer, de chercher l’excès en toute chose, de poursuivre, non pas seulement ce qui est grand, mais ce