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LITTÉRATURE ANGLAISE.

Si l’on veut observer le premier jet de cette vigueur et de cette passion, avant la naissance même de Marie et à la première aube de la réforme, il faut consulter un vieux drame extrêmement curieux par sa date, pamphlet autant que drame, controverse autant que pamphlet, et qu’un membre de la société des antiquaires de Londres vient de publier. Payne Collier, dont les recherches ont éclairé les origines du théâtre anglais, et substitué des documens à cette légende qui passait encore, il y a vingt ans, pour l’histoire de Shakspeare, vient de découvrir dans de vieux papiers ce drame inédit, qui remonte au règne de Henri VIII d’Angleterre, et dont l’auteur est l’évêque protestant Bale. Il a pour titre : le Roi Jean (Kyng Johan, a play in two parts). On y voit le pape Innocent, le cardinal Pandolfo, Étienne Langton, Simon de Swinstead, un moine nommé Raymond, jouer leurs rôles à côté, de Noblesse, Clergé, Ordre Civil, Trahison, Vérité et Émeute : cette dernière remplace le fou de la pièce. Quelque talent se mêle à beaucoup de violence, dans cet essai tenté au commencement du XVIe siècle, pour unir la forme des moralités allégoriques à la tragédie politique ; on y découvre obscurément le germe du drame appliqué à l’histoire, tel que Shakspeare l’a conçu. Le roi Jean résiste au pape, voit son royaume frappé d’interdit, se soumet aux foudres romaines, et est empoisonné par un moine : dernière catastrophe qui n’est pas prouvée, mais que l’écrivain protestant a soin de développer, en haine du catholicisme.

Ce drame-pamphlet est une date politique. Sous les yeux de Henri VIII, la réforme commence à évoquer l’examen. La critique est livrée au peuple ; jamais elle n’avait encore attaqué ouvertement les actes de ses maîtres. Elle l’ose enfin sous Henri VIII ; et le drame de Bale, composé tout exprès pour affermir l’œuvre du monarque, nous place au berceau même du pouvoir nouveau. Non-seulement les destinées politiques de l’Angleterre ont été modifiées par lui, mais il a donné sa couleur à toute la littérature du même pays. Le drame moral de Shakspeare, c’est la liberté souveraine portée dans l’examen de l’homme, de ses conditions, de ses humeurs et de ses passions. Le drame historique du même poète, c’est la liberté portée dans l’examen des faits, sans exception de classes, de rangs et de fortunes. Mais, chez Bale, cette liberté ne se produit encore que sous la forme d’une attaque sans justice. Chez Shakspeare et Cervantes, deux intelligences pures, deux types de l’impartialité souveraine, elle comprend et embrasse l’équité, la sympathie, la mi-