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LITTÉRATURE ANGLAISE.

chant pour cette théorie du rationalisme allemand, qui cherche dans la vie du Christ le développement d’un mythe déposé au sein des populations souffrantes et fécondé par le cours des évènemens. Ainsi, pendant que le docteur Pusey, dans Oxford même, au centre de l’anglicanisme, relève la bannière de l’autorité contre l’examen, Milman, un autre ecclésiastique, pousse jusqu’à ses limites la hardiesse de l’examen, et porte atteinte à la réalité du Messie. Le protestantisme britannique est frappé de deux blessures à la fois.

Les romanciers anglais, si l’on excepte miss Martineau, M. James et Ainsworth, dorment d’un profond sommeil. M. Ainsworth s’est emparé de la terreur, du mouvement, des brigands et des escrocs. Le mélodrame de ses narrations plaît à un certain public, à ce public qui veut des sensations et ne s’embarrasse pas du reste. M. James est un imitateur pacifique et prosaïque de Walter Scott ; un laborieux romancier de l’histoire. Miss Martineau, l’économiste politique, a dépensé quelque talent pour prouver au monde que la révolution de Saint-Domingue s’est faite très vertueusement, et que Toussaint-Louverture valait un peu mieux que Socrate. Haïti doit une statue à miss Martineau.

Il y a plus de vigueur de style, plus de vivacité de coloris, plus de passion et même de poésie dans deux simples traités de chasse qui viennent de paraître à Londres et à Édimbourg, que dans les romans de M. Ainsworth et dans tous les poèmes dus à la fécondité des muses féminines : La Ligne et le Fusil (the Rod and the Gun), par M. Wilson, et le traité de M. Scrope sur la Chasse au Cerf (Deer-Stalking), ouvrage imprimé avec magnificence, réunissent le mérite d’exactitude que l’on demande aux traités didactiques, et la chaleur d’entraînement qui relève les œuvres d’imagination. Nous sommes fort peu chasseur, nous l’avouons humblement ; nous partageons l’avis du rêveur Jacques, ce bon personnage de Shakspeare qui estimait le cerf au bord de son torrent, au sein de sa forêt, plus digne d’intérêt que son persécuteur. Mais M. Scrope nous a fait connaître les émotions de la grande chasse. C’est merveille de le suivre dans ses immenses bois de l’Écosse septentrionale, et d’écouter avec effroi ses naïves et plaisantes prédications sur le caractère, la moralité, le talent, l’adresse et le courage nécessaires au chasseur. « Ses muscles sont de marbre, ses nerfs sont d’acier ; sa course est celle de l’antilope, et la brise ne le devance pas. Il faut qu’il sache marcher ou plutôt courir courbé, le front a deux pouces de terre, le buste parallèle au niveau du sol, pendant une lieue. Il doit glisser comme une anguille, ventre à terre,