Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/459

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
455
LITTÉRATURE ANGLAISE.

ces deux genres, sans jamais s’élever plus haut. M. Sterling est essentiellement imitateur. Sans doute il faut que le flambeau d’un poète s’allume aux foyers consacrés. Mais ensuite, que sa flamme lui devienne propre ; qu’elle soit nourrie et animée des alimens qui lui appartiennent, qu’elle soit à lui seul, comme son étoile et sa splendeur. Les poésies de reflet ne sont pas des poésies, mais des études.

Les idées habituelles de M. Sterling, jeune ecclésiastique, lui ont inspiré toutefois une pièce de vers remarquable, et qui se détache singulièrement sur le fonds un peu commun de son recueil. Ce poème est intitulé The Sexton’s daughter. Le sexton d’une paroisse d’Angleterre est à la fois bedeau, fossoyeur et gardien de l’église, une espèce d’officier de la mort et de ministre placé sur les limites des deux mondes. Notre sexton, veuf de sa femme, a transporté toutes ses affections sur sa fille. Jeanne rit si gaiement, qu’elle arrache des sourires au vieillard. Le sexton qui ne voit dans l’univers qu’un tombeau, cet homme qui végète à l’abri du clocher de village, le cœur endurci comme une des pierres sur lesquelles il inscrit le nom de ses morts, comprend l’espoir et la joie, la passion et la souffrance, le bonheur et la vie, par cette émotion unique. Cependant Jeanne grandit, elle aime ; celui dont elle a fait choix meurt, et elle-même le suit bientôt dans la tombe. Le sexton reste seul et pleure. C’est la première fois qu’il pleure. La mort, la jeunesse, l’amour paternel, réunis dans ce petit cadre à l’abri de la pensée de Dieu, composent une harmonie très singulière dont la simplicité profonde fait le charme.


« Il avait une petite fille, cet homme taciturne ; et quand la petite Jeanne riait aux éclats dans sa libre joie, la figure grave du vieillard s’épanouissait,

« C’est qu’elle s’était emparée de son cœur, et s’y était enlacée, lui-même n’aurait pu dire comment ; mais souvent il lui arrivait de sentir son ame tout oppressée, parce que l’enfant pleurait.

« Le reste ne lui semblait rien : le monde et les hommes étaient matière à linceul. Il se trouvait là, pour jeter la terre sur les corps, indifférent et muet d’ailleurs.

« L’homme, la femme, les époux et les amours, il regardait toutes choses comme mortes. Mais sa petite Jeanne vivait si bien, que lui croyait qu’elle ne mourrait jamais.

« Elle pouvait à peine marcher que, tenant de sa petite main le doigt ridé du vieillard, et babillant sans cesse, elle lui faisait quitter son labeur pour écouter Jeanne.

« Souvent, quand le soleil dorait le bord de la fosse commencé, il