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vice-roi d’Irlande prenait les armes contre elle. Et n’est-il pas admirable dès-lors de voir l’Angleterre et ses alliés venir généreusement au secours du droit opprimé par le fait, et prêter une main protectrice au souverain légitime contre le sujet rebelle ? Qu’en France, où les idées sont perverties, on ne rende pas justice à tant de magnanimité, cela se conçoit ; mais il est permis à la vieille Angleterre, toujours si scrupuleuse et si droite, d’avoir une autre politique et de la pratiquer !

Qu’on ne croie pas que j’invente ou que j’exagère. Ce que je viens d’écrire, je l’ai lu vingt fois depuis six mois, et je le lis encore tous les jours. À la vérité, tandis qu’en Syrie l’Angleterre se préparait à soutenir le droit contre le fait, les pouvoirs établis contre l’insurrection, dans un autre pays, en Espagne, la même Angleterre prenait parti pour le fait contre le droit, pour l’insurrection contre les pouvoirs établis. C’est dans les premiers jours de juillet, peu de jours avant le traité, qu’Espartero, encouragé, excité par l’Angleterre, leva l’étendard de la révolte à Barcelone et dépouilla violemment la reine régente de ses attributions constitutionnelles ; c’est le 11 août, peu de jours après le même traité, que l’Angleterre encore adressa à Espartero une lettre officielle pour lui annoncer que la reine venait de lui conférer la grande croix de l’ordre du Bain, « comme une marque de haute estime pour sa personne et comme une récompense de sa loyale conduite envers sa souveraine. » Mais que signifient ces apparentes contradictions ? Tout simplement qu’il n’y a rien d’absolu dans ce monde et que le droit a plusieurs faces.

Je ne voudrais pas être trop sévère pour la politique anglaise. J’avoue pourtant que, lorsque je vois les écrivains whigs et tories de ce pays se réunir pour reprocher à la politique française de « manquer de moralité » et « de n’avoir pas un principe fixe d’action, » je ne puis me défendre du sentiment le plus amer. La politique anglaise, je le reconnais volontiers, a toujours eu « un principe fixe d’action, » l’intérêt ; mais je ne sache pas qu’un tel principe ait jamais passé pour très moral. Il y a quelques années, en parcourant la correspondance officiellement publiée de l’ambassadeur d’Angleterre à Lisbonne, au moment de l’usurpation de don Miguel, j’y trouvai le passage suivant qui me parut caractéristique : « J’ignore, disait l’ambassadeur, quel parti prendra le gouvernement britannique au sujet de l’usurpation de don Miguel ; mais, en attendant, je cherche à rendre cette usurpation aussi irrégulière que possible. Elle