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DE L’ALLIANCE ANGLO-FRANÇAISE.

laissé dans tous les cœurs de bien amers souvenirs. Il y a d’ailleurs quelque chose de plus. S’il existe une idée populaire, une idée nationale, c’est que les traités de 1815, en privant la France de toutes ses conquêtes, de celles même qui, à d’autres époques, avaient été reconnues et consacrées par l’Europe, l’ont laissée, par rapport aux autres puissances dans un état de faiblesse et d’infériorité qui ne saurait durer toujours ; c’est par conséquent que, le jour où l’équilibre européen actuel sera troublé, la France, rajeunie par une longue paix, aura droit à quelques compensations. Or cet espoir, prochain ou lointain selon le cours des évènemens, tout le monde sentait que l’alliance anglaise le détruisait d’avance. L’alliance anglaise, quelque bonne qu’elle pût être, dans le présent, avait donc aux yeux des masses le double tort de froisser des souvenirs respectables et de détruire de chères espérances. Ajoutez qu’un vieil instinct avertissait le pays que l’Angleterre n’est pas une alliée fort sûre, et qu’il faut toujours se tenir en garde contre elle. Ajoutons encore que l’antagonisme mal entendu selon moi, mais incontestable, des intérêts commerciaux, inspirait à des classes nombreuses de la population des inquiétudes d’une tout autre nature.

Par ces raisons et par d’autres encore, les avantages de l’alliance anglaise, appréciés dans le monde politique, ne l’étaient pas ailleurs. Qui donc, après qu’elle a été si brusquement, si perfidement rompue, oserait aujourd’hui proposer de la renouer ? Qui pourrait conseiller à la France d’oublier l’humiliation qu’elle a subie, le dommage qu’elle a éprouvé, et de tendre la main, comme si rien ne fût arrivé, à ceux qu’elle accuse à bon droit de ce dommage et de cette humiliation ? Il est, je le sais, des philosophes dont l’intelligence est trop vaste pour se laisser emprisonner dans les limites d’une étroite nationalité, et qui n’ont pu encore découvrir ni l’intérêt que nous avions à défendre l’établissement égyptien, ni les torts de l’Angleterre à notre égard. Mais le bon sens public n’en juge pas ainsi, et comme il arrive souvent, le bon sens public a raison contre les philosophes. Aujourd’hui donc, je le répète, l’alliance anglaise est hors de cause. Quiconque tenterait de la renouer serait désavoué à l’instant même par le pays tout entier.

Mais les ministres passent, les impressions s’effacent, les circonstances changent. N’est-il donc pas possible que, dans un délai plus ou moins éloigné, la tentative des dernières années soit reprise, et que l’union des deux grands peuples constitutionnels de l’Europe, de ceux qui marchent à la tête de la civilisation, s’accomplisse enfin et