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L’intérieur de ces palais ne répond nullement à l’extérieur. Rien de plus significatif, chez les nations comme chez les individus, que la disposition et l’ameublement des habitations. À Paris, où les caprices de la mode et l’abondance des produits industriels font varier si étrangement l’aspect des appartemens, il suffit bien, n’est-ce pas ? d’entrer chez une personne aisée, pour se faire, en un clin d’œil, une idée de son caractère, pour se dire si elle a du goût ou de l’ordre, de l’avarice ou de la négligence, un esprit méthodique ou romanesque, de l’hospitalité ou de l’ostentation. J’ai mes systèmes là-dessus, comme chacun a les siens, ce qui ne m’empêche pas de me tromper fort souvent dans mes inductions, ainsi qu’il arrive à bien d’autres. J’ai particulièrement horreur d’une pièce peu meublée et très bien rangée. À moins qu’une grande intelligence et un grand cœur, tout-à-fait emportés hors de la sphère des petites observations matérielles, n’habitent là comme sous une tente, je m’imagine que l’hôte de cette demeure est une tête vide et un cœur froid. Je ne comprends pas que lorsqu’on habite réellement entre quatre murailles, on n’éprouve pas le besoin de les remplir, ne fût-ce que de bûches et de paniers, et d’y voir vivre quelque chose autour de soi, ne fût-ce qu’une pauvre giroflée ou un pauvre moineau. Le vide et l’immobile me glacent d’effroi, la symétrie et l’ordre rigoureux me navrent de tristesse ; et si mon imagination pouvait se représenter la damnation éternelle, mon enfer serait certainement de vivre à jamais dans certaines maisons de province où règne l’ordre le plus parfait, où rien ne change jamais de place, où l’on ne voit rien traîner, où rien ne s’use ni se brise, et où pas un animal ne pénètre, sous prétexte que les choses animées gâtent les choses inanimées. Eh ! périssent tous les tapis du monde, si je ne dois en jouir qu’à la condition de n’y jamais voir gambader un enfant, un chien ou un chat ! Cette propreté rigide ne prend pas sa source dans l’amour véritable de la propreté, mais dans une excessive paresse, ou dans une économie sordide. Avec un peu plus de soin et d’activité, la ménagère sympathique à mes goûts peut maintenir dans notre intérieur cette propreté dont je ne puis pas me passer non plus. Mais que dire et que penser des mœurs et des idées d’une famille dont le home est vide et immobile, sans avoir l’excuse ou le prétexte de la propreté ? S’il arrive qu’on se trompe aisément, comme je le disais tout à l’heure, dans les inductions particulières, il est difficile de se tromper dans les inductions générales. Le caractère d’un peuple se révèle dans son costume et dans son ameublement, aussi bien que