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l’écusson de la famille richement brodé, mais terni et rongé par le temps, tels sont les palais majorquins à l’intérieur. On n’y voit guère d’autres tables que celles où l’on mange ; les glaces sont fort rares, et tiennent si peu de place dans ces panneaux immenses, qu’elles n’y jettent aucune clarté. On trouve le maître de la maison debout et fumant dans un profond silence, la maîtresse assise sur une grande chaise, et jouant de l’éventail sans penser à rien. On ne voit jamais les enfans : ils vivent avec les domestiques, à la cuisine ou au grenier, je ne sais ; les parens ne s’en occupent pas. Un chapelain va et vient dans la maison sans rien faire. Les quinze ou trente valets font la sieste, pendant qu’une vieille servante hérissée ouvre la porte au quinzième coup de sonnette du visiteur. Cette vie ne manque certainement pas de caractère, comme nous dirions dans l’acception illimitée que nous donnons aujourd’hui à ce mot ; mais, si l’on condamnait à vivre ainsi le plus calme de nos bourgeois, il y deviendrait certainement fou de désespoir, ou démagogue par réaction d’esprit.

Les trois principaux édifices de Palma sont la cathédrale, la Lonja (bourse) et le Palacio-Real.

La cathédrale, attribuée par les Majorquins à don Jaime el Conquistador, leur premier roi chrétien et en quelque sorte leur Charlemagne, fut en effet entreprise sous ce règne, en 1390 ; mais elle ne fut terminée qu’en 1601. Elle est d’une immense nudité ; la pierre calcaire dont elle est entièrement bâtie est d’un grain très fin et d’une belle couleur d’ambre. Cette masse imposante, qui s’élève au bord de la mer, est d’un grand effet lorsqu’on entre dans le port ; mais elle n’a de vraiment estimable, comme goût, que le portail méridional signalé par M. Laurens comme le plus beau spécimen de l’art gothique qu’il ait jamais eu occasion de dessiner. L’intérieur est des plus sévères et des plus sombres. Les vents maritimes pénétrant avec fureur par les larges ouvertures du portail principal, et renversant les tableaux et les vases sacrés au milieu des offices, on a muré les portes et les rosaces de ce côté. Ce vaisseau n’a pas moins de cinq cent quarante palmes[1] de longueur sur trois cent soixante-quinze de largeur. Au milieu du chœur, on remarque un sarcophage de marbre fort simple, qu’on ouvre aux étrangers pour leur montrer la momie de don Jaime II, fils du Conquistador, prince dévot, aussi faible et aussi doux que son père fut entreprenant et belliqueux.

  1. Le palmo espagnol est le pan de nos provinces méridionales.