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exact, et on pourra, grâce à lui, réparer tant bien que mal le dommage. Mais quelle dut être la consternation de l’aumônier lorsque son seigneur s’en aperçut ! Nous étions tous à six pas de la table au moment de la catastrophe ; mais je suis bien certain que nous n’en portâmes pas moins tout le poids de la faute, et que ce fait, imputé à des Français, n’aura pas contribué à les remettre en bonne odeur à Majorque. Cet évènement tragique nous empêcha d’admirer et même d’apercevoir aucune des merveilles que renferme le palais de Montenegro, ni le cabinet de médailles, ni les bronzes antiques, ni les tableaux. Il nous tardait de fuir avant que le patron rentrât, et, certains d’être accusés auprès de lui, nous n’osâmes y retourner. La note de M. Tastu suppléera donc encore ici à mon ignorance.

« Attenant à la bibliothèque du cardinal se trouve un cabinet de médailles celtibériennes, mauresques, grecques, romaines et du moyen-âge, inappréciable collection, aujourd’hui dans un désordre affligeant, et qui attend un érudit pour être rangée et classée. Les appartemens du comte de Montenegro sont décorés d’objets d’art en marbre ou en bronze antique, provenant des fouilles d’Ariccia, ou achetés à Rome par le cardinal. On y voit aussi beaucoup de tableaux des écoles espagnole et italienne, dont plusieurs pourraient figurer avec éclat dans les plus belles galeries de l’Europe. »

Il faut que je parle du château de Belver ou Bellver, l’ancienne résidence des rois de Majorque, quoique je ne l’aie vu que de loin, sur la colline d’où il domine la mer avec beaucoup de majesté. C’est une forteresse d’une grande antiquité, et une des plus dures prisons d’état de l’Espagne. « Les murailles qui existent aujourd’hui, dit M. Laurens, ont été élevées à la fin du XIIIe siècle, et elles montrent dans un bel état de conservation un des plus curieux monumens de l’architecture militaire au moyen-âge. « Lorsque notre voyageur le visita, il y trouva une cinquantaine de prisonniers carlistes, couverts de haillons et presque nus, quelques-uns encore enfans, qui mangeaient à la gamelle avec une gaieté bruyante un chaudron de macaroni grossier cuit à l’eau. Ils étaient gardés par des soldats qui tricotaient des bas, le cigare à la bouche. C’était au château de Belver qu’on transférait effectivement à cette époque le trop plein des prisons de Barcelone. Mais des captifs plus illustres ont vu se fermer sur eux ces portes redoutables. Don Gaspar de Jovellanos, un des orateurs les plus éloquens et des écrivains les plus énergiques de l’Espagne, y expia son célèbre pamphlet Pan y toros, dans la torre de homenage, cuya cuva, dit Vargas, es la mas cruda prision. Il y oc-