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incomplètes, et semé son idée sur des champs stériles où la semence devait être étouffée ou dévorée, c’est peut-être une raison suffisante pour qu’on lui dénie l’habileté d’exécution et la persistance de caractère nécessaires au succès immédiat de ses entreprises ; mais ce n’en est pas une pour que l’histoire, prise d’un point de vue plus philosophique qu’on ne le fait ordinairement, ne le signale un jour comme un des esprits les plus généreux et les plus ardemment progressifs de l’Espagne[1]. Ces réflexions me vinrent souvent parmi les ruines des couvens de Majorque, lorsque j’entendais maudire son nom, et qu’il n’était peut-être pas sans inconvénient pour nous de le prononcer avec éloge et sympathie. Je me disais alors qu’en dehors des questions politiques du moment, pour lesquelles il m’est bien permis de n’avoir ni goût ni intelligence, il y avait un jugement synthétique que je pouvais porter sur les hommes et même sur les faits, sans crainte de m’abuser. Il n’est pas si nécessaire qu’on le croit et qu’on le dit de connaître directement une nation, d’en avoir étudié à fond les mœurs et la vie matérielle, pour se faire une idée droite, et concevoir un sentiment vrai de son histoire, de son avenir, de sa vie morale en un mot. Il me semble qu’il y a dans l’histoire générale de la vie humaine

  1. Cette pensée droite, ce sentiment élevé de l’histoire a inspiré M. Marliani lorsqu’il a tracé l’éloge de M. Mendizabal en tête de la critique de son ministère : «… Ce qu’on ne pourra jamais lui refuser, ce sont des qualités d’autant plus admirables, qu’elles se sont rarement trouvées dans les hommes qui l’ont précédé au pouvoir : c’est une foi vive dans l’avenir du pays, c’est un dévouement sans bornes à la cause de la liberté, c’est un sentiment passionné de nationalité, un élan sincère vers les idées progressives et même révolutionnaires pour opérer les réformes que réclame l’état de l’Espagne ; c’est une grande tolérance, une grande générosité envers ses ennemis ; c’est enfin un désintéressement personnel qui lui a fait, en tout temps et en toute occasion, sacrifier ses intérêts à ceux de sa patrie, et qu’il a porté assez loin pour être sorti de ses différens ministères sans un ruban à sa boutonnière… Il est le premier ministre qui ait pris au sérieux la régénération de son pays. Son passage aux affaires a marqué un progrès réel. Le ministre parlait cette fois le langage du patriote. Il n’eut pas la force d’abolir la censure, mais il eut la générosité de délivrer la presse de toute entrave en faveur de ses ennemis contre lui-même. Il soumit ses actes administratifs au libre examen de l’opinion publique ; et quand une opposition violente s’éleva contre lui du sein des cortès, soulevée par ses anciens amis, il eut assez de grandeur d’ame pour respecter la liberté du député dans le fonctionnaire public. Il déclara à la tribune qu’il se couperait la main plutôt que de signer la destitution d’un député qui avait été comblé de ses bienfaits, et qui était devenu son plus ardent ennemi politique. Noble exemple donné par M. Mendizabal avec d’autant plus de mérite qu’il n’avait en ce genre aucun modèle à suivre ! Depuis, il ne s’est pas trouvé de disciples de cette vertueuse tolérance. » (Histoire politique de l’Espagne moderne, par M. Marliani.)