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leurs voûtes lugubres. — Jeune homme, dit le moine, ces fosses que tu vois, ce ne sont pas des puits, ce ne sont pas même des tombes ; ce sont les cachots de l’inquisition. C’est là que, durant plusieurs siècles, ont péri lentement tous les hommes, qui, soit coupables, soit innocens devant Dieu, soit dégradés par le vice, soit égarés par la fureur, soit inspirés par le génie et la vertu, ont osé avoir une pensée différente de celle de l’inquisition. Ces pères dominicains étaient des savans, des lettrés, des artistes même. Ils avaient de vastes bibliothèques où les subtilités de la théologie, reliées dans l’or et la moire, étalaient sur des rayons d’ébène leurs marges reluisantes de perles et de rubis, et cependant l’homme, ce livre vivant, où, de sa propre main, Dieu a écrit sa pensée, ils le descendaient vivant et le tenaient caché dans les entrailles de la terre. Ils avaient des vases d’argent ciselés, des calices étincelans de pierreries, des tableaux magnifiques et des madones d’or et d’ivoire, et cependant l’homme, ce vase d’élection, ce calice rempli de la grace céleste, cette vivante image de Dieu, ils le livraient vivant au froid de la mort et aux vers du sépulcre. Tel d’entre eux cultivait des roses et des jonquilles avec autant de soin et d’amour qu’on en met à élever un enfant, qui voyait sans pitié son semblable, son frère, blanchir et pourrir dans l’humidité de la tombe. Voilà ce que c’est que le moine, mon fils, voilà ce que c’est que le cloître. Férocité brutale d’un côté, de l’autre lâche terreur ; intelligence égoïste, ou dévotion sans entrailles, voilà ce que c’est que l’inquisition. Et de ce qu’en ouvrant ces caves infectes à la lumière des cieux, la main des libérateurs a rencontré quelques colonnes et quelques dorures qu’elle a ébranlées ou ternies, faut-il replacer la dalle du sépulcre sur les victimes expirantes, et verser des larmes sur le sort de leurs bourreaux, parce qu’ils vont manquer d’or et d’esclaves ?

L’artiste était descendu dans une des caves pour en examiner curieusement les parois. Un instant, il essaya de se représenter la lutte que la volonté humaine, ensevelie vivante, pouvait soutenir contre l’horrible désespoir d’une telle captivité. Mais à peine ce tableau se fut-il peint à son imagination vive et impressionnable, qu’elle en fut remplie d’angoisse et de terreur. Il crut sentir ces voûtes glacées peser sur son ame, ses membres frémirent, l’air manqua à sa poitrine, il se sentit défaillir en voulant s’élancer hors de cet abîme, et il s’écria, en étendant les bras vers le moine qui était resté à l’entrée : « Aidez-moi, mon père, au nom du ciel, aidez-moi à sortir d’ici !

— Eh bien ! mon fils, dit le moine en lui tendant la main, ce que