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ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

obscure à quelques esprits, et peut-être même contradictoire. Rien de plus simple que la partie critique et négative de cette théorie : elle n’a rien de bien nouveau, et l’intelligence humaine a été plus d’une fois battue en brèche par les mêmes raisons, et si j’ose le dire, par des raisons plus fortes encore ; mais l’opinion dogmatique de M. Lamennais sur le principe de la certitude a suscité des objections qui conservent toute leur force, ou plutôt elles en acquièrent une nouvelle, grace à certains passages de l’Esquisse. Qu’on nous permette de le montrer en très peu de mots, et seulement pour ce nouvel ouvrage de M. Lamennais ; car la question, en ce qui touche à la philosophie, nous paraît depuis long-temps résolue.

S’il est une fois bien constaté, disait-on, que la raison individuelle ne peut donner que des probabilités, et qu’elle doit toujours se défier d’elle-même, pourquoi se regardera-t-elle comme infaillible, quand elle affirme l’autorité de la raison commune ? Le scepticisme qui attaque les facultés humaines, attaque la connaissance humaine dans sa seule et unique source ; c’est un scepticisme radical et sans remède. Que M. Lamennais nous dise si un homme isolé du reste des hommes peut arriver par ses facultés propres à connaître la vérité : s’il répond que oui, il renonce à son système ; s’il dit que non, il renonce à tout système et à toute connaissance ; voilà ce que l’on disait. Que sera-ce, si aujourd’hui il répond à la fois oui et non ? Or, le oui et le non se trouvent dans l’Esquisse, et, sauf explication, ils semblent également catégoriques. M. Lamennais dit à la page 12 : « Quelle que soit la force avec laquelle une perception interne entraîne l’acquiescement d’un individu isolé, il ne doit pas regarder cet acquiescement, même invincible, comme le caractère définitif du vrai. » Il dit à la page 5 : « La raison ne relève que de ses propres lois, on peut l’atténuer, la détruire plus ou moins en soi ; mais tandis qu’elle subsiste et au degré où elle subsiste, sa dépendance est purement fictive, car c’est elle encore qui détermine, en vertu d’un libre jugement, sa soumission apparente. » Ce n’est pas ici de la raison générale qu’il s’agit, mais d’une opération de logique évidemment individuelle. On ne pouvait pas mieux exprimer une vérité plus incontestable, et Descartes n’aurait pas dit autrement.

Mais enfin si l’on consent à soumettre à la raison commune sa raison individuelle, à croire, quand la raison commune le voudra, le contraire de ce que l’on voit, de ce que l’on touche, de ce que l’on sent, nous donnerez-vous au moins, en échange de notre liberté, la sécurité dans la foi ? Après l’Esquisse, on se demande encore :