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ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

rien de plus ? voilà la question. Nous ne pouvons affirmer que ce que nous pouvons déduire par une conclusion nécessaire ; mais au-delà de ce que nous pouvons affirmer, au-delà de ce que nous pouvons connaître, qui nous garantit qu’il n’y a rien ? Que nous puissions connaître avec certitude qu’il se rencontre en Dieu certains attributs dont le nom et la nature nous sont connus, n’est-ce pas assez ? La science humaine peut-elle aller jusqu’à répondre qu’il n’y a en Dieu aucune puissance, aucune vertu que nous ne puissions découvrir en lui, et dont l’idée même nous manque ? Lorsqu’on discutait dans les écoles la question de l’immatérialité de l’ame par des raisonnemens directs, sans remonter aux principes, l’argumentation de Locke, qui n’était pas matérialiste, mais qui n’était pas spiritualiste non plus, consistait à soutenir qu’à la vérité nous ne savons pas que la matière pense, mais que nous ne savons pas davantage qu’elle soit incapable de penser, ou qu’il soit impossible à Dieu de la rendre intelligente. Cet argument, fort indifférent du reste maintenant que la question est jugée de plus haut, n’était peut-être pas alors sans réplique ; mais n’acquiert-il pas aussitôt tous les caractères de l’évidence, si de l’esprit que nous sommes et de la matière au sein de laquelle nous vivons, si de ce monde fini qui nous est analogue, nous le transportons à la nature de l’infini ? Vous portez le défi à toute intelligence humaine de concevoir en Dieu quelque attribut qui ne se puisse ramener à l’une de ces trois personnes ; portez donc à Dieu le défi de n’avoir pas en soi un attribut qui ne puisse être compris par une intelligence humaine !

Il est vrai que ce nombre trois fait une assez belle figure dans l’histoire de la philosophie ; mais au fond ce n’est qu’une gloire usurpée et dont il serait bon de faire justice. Que le nombre trois ait été le nombre divin dans quelques théogonies antérieures au christianisme, c’est un honneur qu’il partage avec le nombre deux d’abord, et surtout avec le nombre quatre, cette fameuse tetractys par laquelle juraient les pythagoriciens. Quant au nombre sept, au nombre neuf, et au nombre dix, leur éloge remplit, hélas ! plus de cent gros volumes, et M. Lamennais, dans une note fort judicieuse, apprécie à sa juste valeur tout ce bagage numérique dont les anciens philosophes s’étaient malheureusement embarrassés. À la différence des pythagoriciens, des alexandrins et de tant d’autres, ceux qui reprennent aujourd’hui le dogme de la Trinité comptent trois attributs en Dieu, parce qu’ils en découvrent trois, et non pas pour qu’il y en ait trois.