Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/571

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
563
ESQUISSE D’UNE PHILOSOPHIE.

rale. Nous allons croire sur ce fondement qu’il n’y a pas à ses yeux de vérité plus incontestable ; mais quoi ? cela n’est pas, ajoute-t-il, du ressort de la pure raison, et ne peut être admis que comme vraisemblable. Cependant la Trinité, qui est la base ontologique de tout le système, n’a pas pour elle assurément des traditions aussi anciennes et aussi nombreuses ; loin de là, elle a contre elle l’opinion générale et l’opinion même des catholiques, car ils regardent la Trinité comme un mystère, et déclarent assez haut qu’elle n’est pas « du ressort de la pure raison. »

On ne peut s’empêcher de remarquer ici que, si le plan de l’Esquisse avait été conçu dans un point de vue catholique, presque toutes les difficultés auraient disparu. La tradition catholique eût été acceptée par l’auteur comme tradition universelle ; la Trinité, par conséquent, eût été un fait et non une hypothèse, un mystère et non un philosophème ; il y aurait eu harmonie parfaite entre la base logique et la base ontologique de la doctrine ; tout se serait trouvé d’accord, et la philosophie de M. Lamennais aurait perdu ce nom et se serait appelée une hérésie.

Depuis la notion nécessaire de l’être jusqu’à la nature du mal, M. Lamennais nous a fait parcourir tous les problèmes de la philosophie. Après la métaphysique pure, il envisage encore comme appartenant à la science les lois générales qui président au développement de l’activité humaine. Le vrai, le beau et l’utile, la science, l’art et l’industrie, tout exercice de la puissance humaine est circonscrit dans ces limites. M. Lamennais ne consacre que quelques pages aux lois générales de l’industrie, et ce qui nous frappe surtout, c’est d’y voir le langage considéré comme un des fruits de l’industrie humaine. M. Lamennais se sépare en cela de l’école catholique, comme il se sépare de l’église catholique dans ses doctrines sur la Trinité, sur la création, sur le péché originel. La question de l’art, et cela devait être, est traitée plus longuement ; M. Lamennais a déployé dans cette partie de son ouvrage tous les trésors de son imagination et de son style. On est bien loin de s’en plaindre ; on regrette bien plutôt qu’il se soit imposé une règle si sévère en traitant de la métaphysique pure où son extrême concision nuit souvent à la clarté. M. Lamennais, dans ce que sa théorie du beau a de fondamental, est tout-à-fait platonicien. Le beau n’est à ses yeux que la forme du vrai, et Dieu seul est la beauté éternelle, absolue, parfaite. L’homme, pour exprimer hors de lui le sentiment du beau, est réduit à des images qui livrent sa pensée tout imparfaite et mutilée ; la gloire des