Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/588

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
580
REVUE DES DEUX MONDES.

des châteaux dans l’avenir, il serait bien plus sage d’étayer au plus vite l’industrie qui menace ruine.

L’extirpation de la contrefaçon intérieure et étrangère, voilà le but qu’il faut se hâter d’atteindre, voilà le grand service à rendre à la librairie française. La reproduction frauduleuse des livres est plus active, plus audacieuse que jamais. « Personne n’ignore, disent les libraires de Paris dans un mémoire qu’ils ont récemment publié, que la contrefaçon inonde de ses produits nos villes du nord ; elle a établi à Kehl un dépôt destiné à l’approvisionnement des départemens du Rhin. Alger possède un autre dépôt, publiquement toléré, qui propage les éditions contrefaites dans le midi de la France. Les contrefaçons arrivent librement de Bruxelles à Paris, sous bande et par la poste[1]. » Or, le projet de loi soumis aux députés ne présente aucune disposition de nature à protéger les intérêts compromis. Dans la rédaction primitive, amendée par la chambre des pairs, la reconnaissance du droit international de propriété littéraire avait pour base la réciprocité absolue entre les parties contractantes ; c’était réduire un large principe aux proportions mesquines d’une convention de commerce ; l’impossibilité d’établir cette réciprocité rigoureuse entre des peuples dont les lois et les usages sont différens porta malheur à la proposition, qui fut rejetée comme impraticable. Ce résultat était à craindre : aussi disions-nous alors[2] qu’il appartenait à la nation française de donner l’exemple, en proclamant d’une manière absolue l’inviolabilité de la propriété littéraire et en s’engageant à reconnaître sans restriction les droits acquis par les auteurs étrangers dans leur propre pays ; que le principe une fois établi, il resterait à en tirer successivement les conséquences par des transactions diplomatiques. Cette opinion se trouve aujourd’hui corroborée par la demande formelle de la librairie. Déjà même le gouvernement est entré dans cette voie, qui seule conduira au but, pourvu qu’on y marche avec fermeté et persévérance. Dans le traité de commerce conclu entre la France et les Pays-Bas, à la date du 25 juillet 1840, M. Thiers a introduit un article ainsi conçu : « La propriété littéraire sera réciproquement garantie. Une convention spéciale déterminera ultérieurement les conditions d’application et d’exécution de ce principe dans chacun des deux royaumes. » Quand ce traité aura reçu, à Amsterdam et à Paris, la sanction des pouvoirs législatifs, la Hollande sera un premier marché fermé aux contrefacteurs ; les libraires français blessés dans leurs droits pourront y invoquer contre les délinquans la protection des autorités locales. Si les renseignemens parvenus à la com-

  1. Qu’il nous soit permis d’exposer nos propres griefs, et de dire que la Revue des deux Mondes est présentement sous le coup de cinq contrefaçons, grossières, partielles ou falsifiées, il est vrai, mais qui se font à l’aide de deux maisons française et étrangère établies à Paris.
  2. Voyez, dans la livraison du 1er février 1839, un article où la question est développée, surtout en ce qui concerne les moyens d’exécution et les conséquences des traités à faire de puissance à puissance.