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REVUE LITTÉRAIRE.

reine, à qui le parti huguenot était celui qui lui fesait le moins d’ombrage, put rendre une résolution si barbare. » La vérité des faits, judicieusement rétablie par M. Alberi, est que le massacre des huguenots, loin d’avoir été le résultat d’un complot tramé de longue main dans le conseil royal, ne fut qu’un audacieux guet-apens, qu’un violent coup de tête de la part des Guises, qui en recueillirent tous les avantages ; qu’au contraire, par une fatalité étrange, Charles IX fut obligé d’assumer aux yeux de l’Europe l’odieux d’un crime qu’il détestait, et qui venait d’annuler en un instant les résultats de la politique suivie par sa mère depuis douze années.

Le véritable ennemi des huguenots, dit avec raison M. Alberi, était le peuple de Paris, dont la dévotion naïve, aigrie à dessein par les manœuvres des princes lorrains et des agens espagnols, était dégénérée en une sorte de frénésie religieuse. Il avait déjà été conduit au dernier point d’exaspération, lorsqu’eut lieu la tentative d’assassinat faite sur l’amiral de Coligny, à l’instigation des Guises. Les protestans furieux se rassemblent autour de leur chef blessé dangereusement ; de leur côté, les Parisiens ne peuvent voir de sang froid l’attitude hostile des réprouvés qu’ils ont en horreur. Une collision est inévitable : quel parti prendra la cour ? La neutralité absolue serait une abdication : incliner vers la minorité protestante, ce serait blesser le sentiment national et faire trop beau jeu aux princes lorrains, chefs avoués du catholicisme. Pendant que les conseillers de la couronne sont dans une perplexité cruelle, le duc de Guise ne néglige rien pour émouvoir la population parisienne. Il met sur pied la milice bourgeoise, qui ne compte pas moins de soixante mille hommes bien armés et échauffés par le fanatisme. Cette milice est la force la plus vive du royaume : on ne peut sans danger la laisser dans la main d’un ambitieux ; pour la lui arracher, l’unique moyen est de le supplanter aux yeux de la foule, et d’accepter le plan infernal sur lequel il espère élever sa popularité. Le duc de Guise est donc mandé au dernier conseil, tenu pendant la nuit du 23 au 24 août 1572 ; des ordres lui sont donnés pour l’accomplissement du hardi coup de main qu’il a déjà préparé ; il avait cru dominer le mouvement ; par ces ordres qu’il reçoit, il descend au rôle d’exécuteur subalterne. La fatale consigne n’est que trop fidèlement exécutée. Dans la première ivresse du sang, le peuple parisien entonne un chant de triomphe ; les instigateurs du massacre sont portés aux nues, comme les vengeurs du ciel et les libérateurs de la France. Le roi a la faiblesse de vouloir ravir à son rival tout le mérite de ce triste succès ; il assemble solennellement le parlement, et réclame la responsabilité du coup d’état, en déclarant qu’il a cru devoir punir par un châtiment exemplaire une conspiration contre sa personne.

Cette démarche éclatante produisit l’effet que les conseillers de Charles en attendaient ; on crut aisément que la sanglante tragédie avait été concertée entre le roi et sa mère. L’ambassadeur florentin résidant à Paris se laissa d’abord prendre aux apparences. Le message qu’il expédia à son maître, sous l’impression des faits, a été retrouvé dans les archives de Florence par M. Alberi ; l’exaltation qui y règne en fait une pièce caractéristique. « Pouvait-on