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Vienne. Retenir de force une prima donna dans ses états, n’est-ce point là le plus aimable compliment qu’on puisse lui faire, et savez-vous une galanterie plus flatteuse que cette violence ? Combien seraient heureuses de se voir contrainte de la sorte, et dont le public signerait au plus vite les passeports ! Cependant Sophie Loewe en écrivit à M. de Metternich, qui leva les difficultés de la meilleure grace. Vienne enviait à Berlin sa cantatrice. Depuis, des négociations nouvelles ont eu lieu, mais sans résultat ; on travaille à la rappeler avec autant d’ardeur qu’on en mettait à s’opposer à son départ. Chaque jour, l’intendant du théâtre de la cour, Koeniglich-Hof-theater, M. le comte de Rederen adresse à la jeune cantatrice les plus beaux projets d’engagemens qu’elle refuse. Sophie Loewe ne retournera pas à Berlin, de quelque temps du moins ; elle sent qu’elle est arrivée à cette période du talent où le public d’une ville ne vous suffit plus, cette ville fût-elle la capitale d’un grand royaume. Elle veut entendre, étudier, connaître ; si l’Opéra lui manque, les Italiens l’accueilleront ; elle ira de Paris à Milan, de Milan à Londres, puis à Vienne, puis à Pétersbourg ; elle prendra son vol à travers toutes les capitales, tous les succès, toutes les émotions ; il lui faut l’espace et le grand air qu’ont respiré avant elle la Pasta, la Sontag, la Malibran, ses nobles sœurs de voix et de génie.

On a beaucoup disserté en Allemagne sur la voix de Mlle Loewe (sur quoi les Allemands ne dissertent-ils pas !) ; les uns prétendaient y voir les conditions d’un soprano sfogato ; les autres se déclaraient ouvertement pour le mezzo soprano. La querelle fut chaude, les antagonistes se rencontraient chaque matin sur le terrain de la publicité, et l’on pense quelles escarmouches avaient lieu ! On n’eût pas mis plus de zèle et de véhémence à traiter une question d’ontologie ou de vieux droit allemand. Quant à nous, s’il nous était permis d’intervenir dans ces graves débats, nous n’hésiterions point à nous déclarer pour la seconde de ces deux opinions, et nous avouerions franchement que nous pensons que la voix de Sophie Loewe est un mezzo-soprano. Et d’abord tâchons de nous expliquer. Personne n’ignore qu’il y a dans la nature deux espèces de voix élémentaires et fondamentales, le soprano et le contralto, c’est-à-dire, la force douce et féminine, et la force active ; l’éclat et l’énergie, Vénus et Junon, l’or et l’argent ; en un mot, ces deux principes éternels de vie et de génération qu’on retrouve partout, et que la plupart des mythes enveloppent. Cependant ces deux métaux originels, ces deux sonorités premières ne se rencontrent pas toujours à l’état pur, dans notre temps surtout, où les observateurs ont remarqué que les voix franches deviennent de plus en plus rares. De là des organes mixtes qui, sans pouvoir s’appeler soprano ou contralto, participent de l’un et de l’autre, embrassent même quelquefois la double gamme, mais à la condition d’une sensible altération dans le caractère essentiel de ces deux natures de voix ; signe inhérent, du reste, à toute bâtardise. De là, les mezzo-soprani aigus, les mezzo-soprani graves, et les voix proprement dites sopran-e-contralti. Pour prendre au hasard des exemples, nous citerons au nombre des mezzo-soprani aigus la Persiani et la Loewe ; des mezzo-soprani graves, les deux sœurs Heinefetter, Sabine et Catinka ; et comme par-