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en 1775, avait sur ce point rencontré les glaces par le 60e degré ; Powell, en 1721, n’avait pas pu aller au-delà de 62° 30′ ; Biscoë s’était élevé avec beaucoup de peine à 63° ; mais Weddell assurait qu’il avait trouvé la mer libre jusqu’au 71e parallèle. Les corvettes naviguèrent donc dans cette direction et sur des eaux parfaitement unies ; mais, le 18 janvier, un bloc de glace, de quatre-vingts pieds de haut, se montra devant l’Astrolabe. Le lendemain, ces masses flottantes allèrent en augmentant, et le 22, par 65° environ, une immense barrière se déroula sur toute la ligne de l’horizon. On se ferait difficilement une idée de la magnificence sinistre d’un tel spectacle. Abusé par un effet d’optique, l’œil découvre dans ces blocs inégaux des merveilles monumentales. Tantôt ce sont des clochers de cathédrales gothiques bizarrement sculptés, tantôt des forêts d’obélisques lumineux ou bien des temples gigantesques comme ceux d’Ellora, ou d’immenses carrières de marbre étincelant, ou enfin une vaste capitale hérissée d’édifices et dans la forme vaporeuse et confuse que lui donne le brouillard du matin.

Sans les dangers qu’elle recelait, cette scène aurait pu long-temps captiver le regard ; mais il fallait songer à des soins plus sérieux, on avait l’ennemi en face. Pendant quelques jours, on côtoya cette éternelle muraille, en cherchant si elle n’offrirait pas dans son étendue quelque solution de continuité, Partout on la retrouva, toujours plus compacte et plus menaçante. À diverses reprises, les deux corvettes se trouvèrent resserrées entre d’énormes glaçons, et le 3 février, une barrière de deux cents toises de large les sépara de la haute mer. Qu’on juge des craintes qui vinrent assaillir les équipages ! Il fallait s’ouvrir violemment un passage, tantôt à l’aide du vent, tantôt au moyen de pioches, de leviers et de pinces. À force de bras et de cordes, on tirait les bâtimens de manière à leur faire tracer un sillon au milieu des glaces. Pendant cinq jours, les équipages furent occupés à cette rude manœuvre. Le 9 au matin, les vents ayant passé au sud, les corvettes déployèrent toutes leurs voiles pour livrer à l’obstacle un dernier combat. Contenues par les glaces, mais chassées par la brise, l’Astrolabe et la Zélée se roulaient et s’agitaient en bondissant sur ce lit inégal. Ces secousses faisaient gagner un peu de chemin ; mais tout s’arrêtait quand la barrière devenait trop haute. Alors il fallait employer les machines et les bras, coucher les vaisseaux sur le flanc pour les faire glisser avec plus de facilité et les traîner ainsi au risque de les voir se briser en mille éclats. Enfin cette angoisse eut un terme : après avoir creusé leur route pendant une lieue, la Zélée et