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de courte durée, même la gloire des fleurs, ces charmantes filles de la rosée du ciel et des baisers du jour. Le superbe oignon qu’un jardinier enthousiaste avait nommé l’amiral Enkhuyzen, est descendu du palais des princes dans le modeste salon du bourgeois ; le Liefkenshoek ne tente plus que de vulgaires ambitions, et l’on peut avoir aujourd’hui, le dirai-je ? pour 50 florins, le Semper Augustus, dont le prix s’est élevé une fois jusqu’à 13,000 florins. Malgré cette effroyable dépréciation des fleurs, les habitans de Harlem n’ont pas renoncé à une culture qui leur rapporte encore régulièrement un assez joli bénéfice. En allant du côté du pavillon, ancienne résidence d’été du roi Louis, on passe entre une double rangée de maisons, dont les petites portes soigneusement fermées, et les fenêtres gardées par des jalousies ont un air mystérieux et recueilli. C’est là le domaine de Flore. C’est là que le jardinier habile donne des leçons à la nature, développe les graces de l’œillet, embellit le dahlia et perfectionne la tulipe. Harlem a une autre curiosité dont les bourgeois sont assez fiers et à juste titre. C’est un orgue de huit mille tuyaux, le plus grand orgue qui existe au monde. Que si jamais vous allez dans cette ville, n’oubliez pas qu’un jour naquit en ce lieu un homme auquel on donna le nom de Laurent, et qui se fit un surnom de son titre de sacristain (koster) ; que cet homme inventa en l’an de grace 1423 l’art d’imprimer en caractères mobiles : tâchez de ne pas détourner la tête quand vous rencontrerez le lourd monument qu’on lui a élevé sur la place de la cathédrale, et dans le parc, le tableau du pavillon qui le représente au moment où il vient de faire sa découverte, la médaille frappée en son honneur ; tâchez enfin, si vous voulez passer aux yeux des habitans de Harlem pour un voyageur un peu lettré, de ne pas trop parler de Guttemberg.

Il n’y a qu’une petite distance de Harlem à Saardam, où chaque touriste se croit obligé d’aller voir la prétendue cabane de Pierre-le-Grand. Le fait est que Pierre-le-Grand n’a jamais passé plus de trois jours dans cette ville, et que, fatigué de la curiosité dont il était l’objet, il se retira à Amsterdam, où il pouvait plus facilement garder l’incognito.

De Saardam, un bateau porte le voyageur au milieu des cités mélancoliques et des riches pâturages de la Nordholland, puis il faut passer le Zuyderzée, et nous voilà dans la province la plus curieuse de tout le royaume, dans la Frise. Là il y a une langue à part, une poésie naïve et originale, des traditions anciennes et des mœurs qui ont un caractère primitif. Ce peuple raconte qu’il vient de l’Inde. Il sait que ses ancêtres ont occupé jadis de vastes domaines, et, quoique