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amis de l’art pleurent sur les gloires d’autrefois, et de temps en temps tâchent de se réconforter dans leurs douleurs par quelques paroles d’espoir, et regardent l’horizon et demandent si l’on ne voit rien venir, si le nuage de poussière qui flotte au loin sur la grande route ne leur dérobe pas la main de fer de quelque nouveau Goetz de Berlichingen, la noble et pâle figure d’un Piccolomini, ou seulement une pauvre petite comédie à la manière de Kotzebue ou d’Iffland. Et là-dessus ils attendent, ces dignes amis de la poésie dramatique ; ils se disent que les muses de Weimar prendront peut-être pitié de leur deuil et de leurs regrets. Ils s’endorment avec un singulier mélange de joie et d’anxiété ; la nuit, ils assistent à de pompeux monologues, à des coups de lance et d’épée, à des scènes magnifiques ; ils se réveillent pleins d’espoir. Ô douleur ! Le nuage de poussière leur a apporté quelque nouveau drame historique de M. Raupach, qui a entrepris de mettre en drame toute l’histoire des Hohenstaufen à la façon de cet aimable poète du XVIIe siècle, qui voulait mettre toute l’histoire de France en vaudevilles, afin de la faire apprendre plus gaîment aux petits enfans. Si ce n’est pas un drame de M. Raupach qui vient ainsi contrister les hommes avides de voir une régénération de la poésie dramatique, ce sera quelque tragédie d’un débutant qui, du premier coup, aspire à détrôner la gloire de Goethe et de Schiller, et dont le public enterre, à la seconde représentation, l’œuvre ambitieuse, sans élégie et sans épitaphe. Depuis six ans, deux drames seulement ont eu du succès et méritaient d’en avoir : Der Traum ein Leben, de Grillparzen, et Griseldis, de M. Munch Billinghausen, qui, pour se mettre bien vite au niveau de tout le monde, s’est hâté de faire une pièce très insignifiante et déjà oubliée, après en avoir fait une qui avait ému toute l’Allemagne. Je ne parle pas des compositions dramatiques, telles que le Napoléon de Grabbe, qui ne sont pas destinées à la représentation, et que je considère plutôt comme des épopées dialoguées que comme des pièces de théâtre.

Si des hautes régions occupées par Melpomène, pour parler le langage classique, nous passons à celles de Thalle, hélas ! la disette est encore plus grande. Sauf la Minna de Barnhem, les Allemands n’ont, j’ose le dire, pas une seule comédie vraiment nationale. Le sérieux de leur caractère, la dignité de leurs habitudes, ne leur permettent pas de tourner leurs sentimens en plaisanteries, de transporter sur la scène, de livrer à la risée du public les mœurs austères qu’ils ont héritées de leurs aïeux, l’intérieur de famille pour lequel ils ont encore un pieux respect. À Dieu ne plaise que je les blâme de cette sage réserve. Au contraire, je les félicite bien sincèrement de veiller fidèlement sur le sanctuaire de la famille, à une époque où tant de religieux sanctuaires ont été violemment brisés. Mais il résulte de ce respect pour leurs anciennes coutumes, pour le palais des grands et la demeure des particuliers, qu’ils ne peuvent point avoir de comédie, et que, dès qu’ils essaient d’entrer dans la vie réelle, ils s’attendrissent au lieu de rire, et flottent tour à tour entre la sentimentalité ou la vulgarité. Dans les derniers temps, MM. Bauerfeld et Raupach sont les seuls qui aient trouvé çà et là quelque situation assez comique. M. Ch.