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DE LA FORCE DU GOUVERNEMENT ACTUEL.

triomphé, et tout annonce qu’il triomphera : car en lui, c’est la société qui se défend. Il a fait des fautes, et sans doute il en fera encore, mais ses fautes ne seront jamais décisives et irréparables, car il est essentiellement un régime de raison modérée et de bon sens pratique. Il n’aura pas de ces témérités désastreuses qui ne laissent point de retour. Ses fautes le diminueront, elles ne le perdront pas ; elles ne feront que constater tout à la fois qu’il est imparfait comme toute chose humaine, et vivace comme toute chose nationale. Pour durer, il n’a besoin que d’une médiocre sagesse.

Nous écartons-nous, en parlant ainsi, de l’optimisme officiel des défenseurs du pouvoir ? Peut-être. Ils célèbrent volontiers sa force en thèse générale, et le trouvent énergique et grand lorsqu’ils plaident sa cause. Mais lorsqu’ils le conseillent, ils semblent bien souvent le trouver petit et faible. Ceux qui aiment ou servent le gouvernement ne paraissent pas toujours lui porter autant de confiance que d’affection. Ils l’exaltent en public et le plaignent en particulier. Ils veulent qu’on l’honore, qu’on le redoute même, et confessent aisément les inquiétudes, je dirai le mot, la pitié qu’il leur inspire. Interrogez-les à part, amenez-les à vous ouvrir leur cœur, ou seulement étudiez leur conduite, leurs opinions, leurs votes, et vous constaterez qu’une défiance profonde, qu’une incurable anxiété les tourmente, et que la stabilité qu’ils désirent, ils n’osent l’espérer. Tout leur semble fragile et précaire autour d’eux ; ils se demandent encore si notre gouvernement peut vivre. Ont-ils raison ? On sait que nous ne le pensons pas. Mais leurs craintes même prouvent une chose, c’est que notre gouvernement, tout fort qu’il est, n’a pas l’air de l’être ; c’est en effet là sa plus grande faiblesse.

Il lui arrive ce qui est arrivé à tous les états libres. Il faut du temps, il faut une longue expérience de leur allure pour croire à leur énergie et à leur vitalité. Quiconque entre, sans y être préparé, dans une société livrée à la liberté politique, y entend dès l’abord tant de bruit, qu’il ne peut s’imaginer que ce bruit ne soit pas du désordre. Tous les pouvoirs s’y querellent incessamment ; toutes les institutions y luttent les unes contre les autres. La machine semble si compliquée, elle a des frottemens si pénibles, qu’on n’imagine pas qu’elle puisse y tenir : elle semble s’user tout entière dans le moindre effort. En tout pays libre, d’ailleurs, vivent des partis, souvent des partis hostiles et subversifs, qui font semblant de n’être qu’une opposition, toujours une opposition qui blâme très haut le gouvernement. À l’entendre, la liberté est toujours menacée, le vœu natio-