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LA HOLLANDE.

qui ne font pas partie du club, l’entrée leur en est absolument interdite. On n’est admis dans ces sociétés que par voie d’élection, à la pluralité des suffrages. Chaque membre peut même déballotter un candidat, sans en dire le motif et sans se nommer, en déposant tout simplement dans l’urne une pièce de 10 florins. Cette grossière coutume révolte, je dois le dire, beaucoup de Hollandais et sera probablement abolie.

Les bourgeois qui n’ont pas le moyen d’entrer dans ces clubs où la cotisation annuelle est toujours assez élevée, s’en vont le soir avec leur femme et leurs enfans dans des établissemens publics, où un orchestre presque aussi bruyant que celui de Musard exécute avec une rare naïveté les nouveaux opéras, et où une troupe d’acteurs joue en hollandais les vaudevilles de Scribe. Toute la salle est pleine de chaises et de petites tables rangées symétriquement. D’un côté est le théâtre, et de l’autre on voit, ô bénédiction ! le buffet du restaurateur, et du limonadier, la théière fumante, les larges tranches de veau ou de jambon, dont l’aspect seul amène sur les lèvres des Hollandais un indicible sourire de bonheur. On paie pour entrer dans ce paradis des joies humaines 1 fr. ou 1 fr. 50 c. ; et voyez quel comble de félicité ! pour cette même rétribution qui donne droit à tant de jouissances intellectuelles, on peut avoir en outre à son choix une grande tassé de thé, du punch ou du genièvre. L’honnête père de famille s’asseoit avec les siens à une table, prend comme un nabab, des mains du garçon, la longue pipe en terre qui se donne partout gratis dans les plus beaux cafés comme dans les dernières tavernes ; puis il commence son souper, il regarde, il écoute, il boit, il fume, et dans ce moment de repos ineffable sans doute il remercie au fond du cœur le bon Dieu qui a donné à l’homme l’arôme du genièvre et de l’eau-de-vie, la musique de M. Auber, et les couplets de M. Scribe. Le lazzaroni couché au soleil sur un des quais de Naples, l’ouvrier de Paris enchanté un dimanche par le marchand de vins de la barrière, ne sont certainement pas plus heureux que ce digne bourgeois d’Amsterdam entouré d’un nuage de fumée et savourant goutte à goutte la liqueur qu’il s’est fait servir.

L’habitude que les Hollandais ont toujours eue de tenir leur porte close, de ne recevoir les personnes de leur connaissance qu’à certains jours de l’année, et de se retrancher à leurs heures de loisir dans l’enceinte d’un club, peut bien passer pour de l’insociabilité. Eux-mêmes le reconnaissent, et ne cherchent pas à s’en corriger. Ils pourraient cependant alléguer comme cause de cette insociabilité