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DE LA FORCE DU GOUVERNEMENT ACTUEL.

la partagent à ne pas se préoccuper uniquement de sa sûreté, à lui souhaiter, à lui faire une destinée active, animée, influente s’il se peut, grande même, si Dieu le permet. Comme les hommes, les gouvernemens qui ne songent qu’à vivre en perdent le droit. D’ailleurs, conserver sans accroître, c’est perdre. Pour conserver un gouvernement il faut accroître son influence, son crédit, sa renommée ; autrement, on s’habitue, au dedans comme au dehors, à le compter pour peu de chose, et s’il survient un jour de crise, il paie cher sa mauvaise réputation ; il ne peut plus reprendre son rang que par un effort désespéré. Le gouvernement anglais est assurément, même avec un cabinet whig, un gouvernement conservateur. Existe-t-il un gouvernement plus actif ? Sachons imiter cette prudente activité ; n’appliquons pas à la France les principes de conduite qui peuvent suffire à la Belgique ou à la Suisse. Ne croyons pas que notre mission dans le monde se borne à obtenir la prospérité du canton de Vaud ou du pays de Bade. Un grand état ne peut se passer de grandes affaires, et depuis un temps on ne nous a enseigné que l’art de se retirer des grandes affaires. Un grand état ne peut se passer de grands desseins, et l’habileté qu’on exalte est de n’en pas concevoir et de ne se rien proposer. Un grand état ne peut se passer d’influence, et la maxime que l’on a presque réussi à consacrer, c’est qu’on ne doit jamais risquer la paix pour une question d’influence. Cette détermination une fois prise et surtout divulguée serait un blanc-seing donné à l’Europe.

Toutefois, en conseillant la politique d’action, nous parlons d’une manière générale. Le temps est passé où le conseil aurait pu être immédiatement suivi. Dans les circonstances présentes, le seul moyen de reprendre peu à peu un rôle, ce n’est pas de se beaucoup remuer ; c’est d’inquiéter et d’embarrasser le monde par la ferme résolution de ne pas tremper dans ce qu’il a fait. L’absence de la France au concert européen est plus digne et plus significative que son accession. La France immobile au dehors, mais se créant au dedans des ressources pour un avenir inconnu, peut encore arrêter indirectement l’Europe dans le cours de ses desseins en l’inquiétant sur leurs conséquences, et donner aux principes de division qui peuvent exister dans son sein quelque chance d’éclater. Cet espoir est faible, mais il n’est pas déraisonnable ; cette prétention est modeste, mais elle est sensée. Ce serait un grand succès dans notre situation que de parvenir à faire naître dans l’esprit des cabinets ce doute : est-ce qu’il serait possible qu’un jour la France s’opposât à quelque chose ?