Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/781

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
773
REVUE. — CHRONIQUE.

acceptant vaillamment le combat sans jamais le provoquer ni l’offrir : ce sont là les moyens à l’aide desquels le cabinet du 29 octobre pouvait espérer de rallier une majorité suffisante et durable. Dans l’état où se trouvait la chambre, nul ne pouvait se flatter de reconstituer une majorité par des coups d’éclat, de vaincre toutes les répugnances par un effort soudain, de haute lutte. Loin de là ; ce qu’il fallait pour réussir était du temps, des soins, de l’adresse, de la patience. Il fallait laisser aux habitudes gouvernementales le temps de se reformer, aux réminiscences parlementaires le temps de s’affaiblir. Peu à peu les votes, arrachés d’abord par les nécessités du moment, auraient été accordés par entraînement et par conviction. Le talent est un grand séducteur, et le succès prépare le succès. Les conscrits qui se mettent en route à contre-cœur, aiment la guerre et se prennent de passion pour leurs chefs, lorsqu’ils ont, sous leur direction, fait une campagne heureuse et obtenu des succès dont ils commençaient à désespérer.

L’analogie égare souvent, en politique surtout, les esprits les plus distingués. On rappelle les grands combats parlementaires du 13 mars et du 11 octobre, et on oublie les circonstances toutes particulières qui secondaient les efforts de ces deux ministères. Sans doute les difficultés étaient grandes, les dangers menaçans ; mais ces difficultés et ces dangers n’étaient pas seulement des obstacles pour le gouvernement : ils en étaient aussi la gloire, et ils en développaient la force. Au milieu des grandes luttes, les petites passions se sentent comprimées ; elles n’osent pas ; l’opinion publique les surveille, l’alarme leur tient lieu de pudeur. Sur le champ de bataille, en présence de l’ennemi, l’armée parlementaire ne discutait guère les résolutions de ses chefs avoués, elle se battait : elle se battait de grand cœur, tous les jours ; elle se battait surtout lorsque la victoire paraissait incertaine et qu’un coup d’éclat était nécessaire. Aujourd’hui, l’armée parlementaire est, pour ainsi dire, en garnison ; elle s’ennuie ; au lieu d’agir, elle disserte ; au lieu d’obéir, elle ergote. Quot capita, tot sententiæ. On a beau lui dire que l’ennemi est toujours là, qu’il est toujours le même, qu’il menace, qu’il approche ; au fait, elle n’en croit rien. Elle a raison ; elle a tort. La majorité a raison lorsqu’elle ne veut pas voir dans le centre gauche et la gauche des partis décidés à tout bouleverser, à tout détruire ; lorsqu’elle ne croit pas qu’une fraction de la bourgeoisie veuille, pour je ne sais quelles velléités libérales et pour abattre l’autre fraction, s’ensevelir avec elle sous les ruines de nos institutions. Elle a tort lorsqu’elle paraît oublier aussi que hors du parlement, au-dessous de la bourgeoisie, il se forme avec une persévérance et une activité effrayantes, un parti bien autrement redoutable que les bourgeois de la gauche, un parti prêt à tout dévorer. Qu’on nous permette de le dire, il y a quelque chose de puéril en soi et de pénible à voir dans ces combats qu’on se livre, Dieu sait pour quelles misères ! sur les sommets de la société, tandis qu’au su et vu de tout le monde il se forme dans le bas une armée qui grossit à tous les instans, et qui vous demandera un jour, la pique à la main, de lui livrer