Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/792

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
784
REVUE DES DEUX MONDES.

ter quelques contusions, bosses à la tête, et tout au moins de fortes courbatures. Le grave Miguel de Vargas, auteur vraiment espagnol qui ne plaisante jamais, parle en ces termes de los horrorosos caminos de Mallorca : « En cuyo esencial ramo de policia no se puede ponderar bastantemente el abandono de esta Balear. El que llaman camino es una cadena de precipicios intratables, y el transito desde Palma hasta los montes de Galatzo presenta al infeliz pasagero la muerte a cada paso, etc. »

Aux environs des villes, les chemins sont un peu moins dangereux ; mais ils ont le grave inconvénient d’être resserrés entre deux murailles ou deux fossés qui ne permettent pas à deux voitures de se rencontrer. Le cas échéant, il faut dételer les bœufs de la charrette ou les chevaux de la voiture, et que l’un des deux équipages s’en aille à reculons, souvent pendant un long trajet. Ce sont alors d’interminables contestations pour savoir qui prendra ce parti ; et, pendant ce temps, le voyageur, retardé, n’a rien de mieux à faire qu’à répéter la devise majorquine : mucha calma, pour son édification particulière.

Avec le peu de frais où se mettent les Majorquins pour entretenir leurs routes, ils ont l’avantage d’avoir de ces routes-là à discrétion. On n’a que l’embarras du choix. J’ai fait trois fois seulement la route de la Chartreuse à Palma, et réciproquement ; six fois j’ai suivi une route différente, et six fois le birlocho s’est perdu et nous a fait errer par monts et par vaux, sous prétexte de chercher un septième chemin qu’il disait être le meilleur de tous, et qu’il n’a jamais trouvé.

De Palma à Valldemosa, on compte trois lieues, mais trois lieues mayorquines qu’on ne fait pas, en trottant bien, en moins de trois heures. On monte insensiblement pendant les deux premières ; à la troisième on entre dans la montagne et on suit une rampe très unie (ancien travail des chartreux vraisemblablement), mais très étroite, horriblement rapide, et plus dangereuse que tout le reste du chemin. Là on commence à saisir le côté alpestre de Majorque ; mais c’est en vain que les montagnes se dressent de chaque côté de la gorge, c’est en vain que le torrent bondit de roche en roche ; c’est seulement dans le cœur de l’hiver que ces lieux prennent l’aspect sauvage que les Majorquins leur attribuent. Au mois de décembre, et malgré les pluies récentes, le torrent était encore un charmant ruisseau courant parmi des touffes d’herbes et de fleurs, la montagne était riante, et le vallon encaissé de Valldemosa s’ouvrit devant nous comme un jardin printanier.