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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

désespérés, comme dans ces galeries creuses et sonores. Le bruit des torrens, la course précipitée des nuages, la grande clameur monotone de la mer interrompue par le sifflement de l’orage, et les plaintes des oiseaux de mer qui passaient tout effarés et tout déroutés dans les rafales ; puis, de grands brouillards qui tombaient tout à coup comme un linceul, et qui, pénétrant dans les cloîtres par les arcades brisées, nous rendaient invisibles et faisaient paraître la petite lampe que nous portions pour nous diriger, comme un esprit follet errant sous les galeries, et mille autres détails de cette vie cénobitique qui se pressent à la fois dans mon souvenir, tout cela faisait bien de cette Chartreuse le séjour le plus romantique de la terre. Je n’étais pas fâché de voir en plein et en réalité une bonne fois ce que je n’avais vu qu’en rêve, ou dans les ballades à la mode, et dans l’acte des nonnes de Robert-le-Diable, à l’Opéra. Les apparitions fantastiques ne nous manquèrent même pas, comme je le dirai tout à l’heure ; et, à propos de tout ce romantisme matérialisé qui posait devant moi, je n’étais pas sans faire quelques réflexions sur le romantisme en général.

À la masse de bâtimens que je viens d’indiquer, il faut joindre la partie réservée au supérieur, que nous ne pûmes visiter, non plus que bien d’autres recoins mystérieux ; les cellules des frères convers, une petite église appartenant à l’ancienne Chartreuse, et plusieurs autres constructions destinées aux personnes de marque qui y venaient faire des retraites ou accomplir des dévotions pénitentiaires ; plusieurs petites cours entourées d’étables pour le bétail de la communauté, des logemens pour la nombreuse suite des visiteurs ; enfin, tout un phalanstère, comme on dirait aujourd’hui, sous l’invocation de la Vierge et de saint Bruno. Quand le temps était trop mauvais pour nous empêcher de gravir la montagne, nous faisions notre promenade à couvert dans le couvent, et nous en avions pour plusieurs heures à explorer l’immense manoir. Je ne sais quel attrait de curiosité me poussait à surprendre dans ces murs abandonnés le secret intime de la vie monastique. Sa trace était si récente, que je croyais toujours entendre le bruit des sandales sur le pavé et le murmure de la prière sous les voûtes des chapelles. Dans nos cellules, des oraisons latines imprimées et collées sur les murs, jusque dans des réduits secrets où je n’aurais jamais imaginé qu’on allât dire des oremus, étaient encore lisibles. Un jour que nous allions à la découverte dans des galeries supérieures, nous trouvâmes devant nous une jolie tribune, d’où nos regards plongèrent dans une grande et belle chapelle, si meublée