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propriété de Son Gual ayant négligé de s’occuper de cet objet sacré, le souvenir s’en effaça. Mais Dieu ne voulut pas que la chaire rustique de saint Vincent fût à jamais perdue. Des domestiques de la propriété, ayant voulu faire du bois, jetèrent leur vue sur l’olivier et se mirent en devoir de le dépecer ; mais les outils se brisaient à l’instant, et, comme la nouvelle en vint aux oreilles des anciens, on cria au miracle, et l’olivier sacré resta intact.

« Il arriva plus tard que cet arbre se fendit en trente-quatre morceaux ; et, quoique à portée de la ville, personne n’osa y toucher, le respectant comme une relique.

« Cependant le saint prédicateur allait prêchant dans les moindres hameaux, guérissant et le corps et l’ame des malheureux. L’eau d’une fontaine qui coule dans les environs de Valldemosa était le seul remède ordonné par le saint. Cette fontaine ou source est connue encore sous le nom de Sa bassa Ferrera.

« Saint Vincent passa six mois dans l’île, d’où il fut rappelé par Ferdinand, roi d’Aragon, pour l’aider à éteindre le schisme qui désolait l’Occident. Le saint missionnaire prit congé des Mallorquins dans un sermon qu’il prêcha le 22 février 1414 à la cathédrale de Palma, et, après avoir béni son auditoire, il partit pour s’embarquer, accompagné des jurés, de la noblesse, et de la multitude du peuple, opérant bien des miracles, comme le racontent les chroniques, et comme la tradition s’en est perpétuée jusqu’à ce jour aux îles Baléares. »

Cette relation, qui ferait sourire Mme Fanny Elssler, donne lieu à une remarque de M. Tastu, curieuse sous deux rapports : le premier, en ce qu’elle explique fort naturellement un des miracles de saint Vincent Ferrier ; le second, en ce qu’elle confirme un fait important dans l’histoire des langues. Voici cette note :

« Vincent Ferrier écrivait ses sermons en latin, et les prononçait en langue limosine. On a regardé comme un miracle cette puissance du saint prédicateur qui faisait qu’il était compris de ses auditeurs, quoique leur parlant un idiome étranger. Rien n’est pourtant plus naturel, si on se reporte au temps où florissait maître Vincent. À cette époque, la langue romane des trois grandes contrées du nord, du centre et du midi était à peu de chose près la même ; les peuples et les lettrés surtout s’entendaient très bien. Maître Vincent eut des succès en Angleterre, en Écosse, en Irlande, à Paris, en Bretagne, en Italie, en Espagne, aux îles Baléares ; c’est que dans toutes ces con-